Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/484

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dorure ternie des ajoncs presque défleuris encadrent les champs. À l’heure où j’entre à Ploërmel, tout est paisible, la voiture fait un bruit énorme sur le pavé, on entrevoit à peine une silhouette de religieux au bout d’une rue, un visage derrière la vitre d’une boutique. Malgré tout l’appareil de civilisation que peut présenter une sous-préfecture, la ville semble aussi calme qu’au temps où elle existait à peine, aux premières années du vie siècle, alors que saint Armel, né en Grande-Bretagne, traversa la Manche et vint, au fond des terres de l’Armorique, créer un monastère autour duquel se groupèrent les maisons d’un bourg. Saint Armel est resté le personnage important de Ploërmel (Plou Armel, peuple d’Armel.) C’est lui qui délivra la ville d’un énorme serpent, ou guibe, qu’il précipita dans la Seiche : un quartier de la ville, Guibourg, garde le nom et le souvenir de ce monstre de la mythologie bretonne. Il s’en faut que Ploërmel ait toujours été aussi bien protégé. Du xiie au xvie siècle, c’est trop souvent l’envahissement et le pillage. Édouard III prend la ville d’assaut et y laisse une garnison en 1346. Les Français l’assiègent et la brûlent en 1487. Les huguenots, qui s’y étaient réunis en force et y avaient bâti un temple, y repoussent un assaut des ligueurs en 1594. Les Carmes s’y étaient établis en 1238, le séjour en Bretagne y avait été interdit aux Juifs en 1240. Finalement, c’est le catholique qui y est vainqueur : les « frères de Lamennais » voués à l’enseignement, y ont leur siège et leur noviciat ; les Ursulines y ont encore un couvent, flanqué d’une chapelle, au centre de la ville. J’entre au petit Séminaire pour y voir l’ancienne salle des États de Bretagne. Une sœur, qui surgit d’une loge grillagée, m’introduit dans un parloir ciré, miroitant, aux blancs rideaux, où un bonhomme rasé, qui tient du jardinier et du bedeau, vient me prendre pour diriger ma visite. La salle des États est un réfectoire qui n’est pas si reluisant que le parloir, et je sors bien vite pour faire le tour du cloître qui garde le tombeau du duc et de la duchesse de Montauban, au centre de massifs de plantes vertes, et pour entrevoir le jardin aménagé en larges allées et en pelouses pour les ébats des élèves, avec une partie réservée qui est le potager et le verger. C’est peu de chose à voir, en somme. En ville, quelques vieilles maisons de la Renaissance aux sculptures singulières, les termes à la gaine ornée de feuillage, un personnage qui tire la langue, un fou agitant sa marotte, etc. Je cherche l’hôtel du duc de Mercœur où les guides annoncent une grande cheminée sculptée. Je trouve l’hôtel, petit, solide, de belle apparence, occupé par un sabotier, mais il y a beau temps que la grande cheminée n’y est plus. Ma grande impression de Ploërmel, c’est à l’église de Saint-Armel que je l’ai ressentie, devant les verrières du xvie siècle. L’extérieur de l’église a de la grâce, avec ses fenêtres à meneaux, sa grande arcade à deux portes, ses ogives, ses contreforts à clochetons, ses bas-reliefs, ses caricatures, malheureusement bien effacées, telles que la Truie jouant de la cornemuse, le Savetier cousant la bouche de sa femme, la Femme conduisant son mari par le bout du nez. Mais l’intérieur est véritablement éblouissant avec ses fenêtres où ruisselle la couleur dans la lumière, son Arbre de Jessé, sa Cène, sa Passion, sa Mort et son Assomption de la Vierge, sa Pentecôte, son Jean l’Épervier, évêque de Saint-Malo, et sa Légende de saint Armel, à laquelle on accède par une tribune. C’est une merveille que cette dernière œuvre, une merveille de dessin bien établi, de mouvements simples et justes, une merveille de couleur avec les rouges sombres du haut, les feuillages verts, les clartés d’argent distribuées par compartiments selon une loi générale de composition.

PLOËRMEL ; MAISON DU XVIe SIÈCLE, AU FOU AGITANT SA MAROTTE.