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aucune tourelle de château, aucun toit de maison, l’allée semble ne conduire nulle part. L’habitation est loin de tous regards, au centre de quelque clairière, à l’abri des vents d’hiver qui balayent ces plateaux. Pas un passant, pas un bruit. C’est l’isolement, le silence, le mystère, en pleine lumière. Cette nature de Bretagne est toujours comme le décor des contes de fées. Quand ce n’est pas le palais enchanté de la Belle au Bois dormant que l’on croit y découvrir, c’est le logis caché et rébarbatif de l’Ogre.

MARI ET FEMME DANS LEUR INTÉRIEUR À SPÉZET.

La descente sur l’autre versant de la montagne me mène à Spézet, village assez sordide, mais qui n’a pas, toutefois, l’aspect industriel et misérable de Gourin. Ce n’est pas ici la couleur du charbon de terre, mais celle du fumier. J’entre dans une maison, où je reste à causer pendant quelque temps avec des Bretons à face rasée et à grands chapeaux. Comme il arrive souvent en Bretagne, cette maison ne participe pas, à l’intérieur, du mauvais état extérieur. Elle est bien tenue, le sol bien battu, soigneusement balayé, et le bois et les ornements de cuivre des meubles sont clairs comme des miroirs, meubles en poirier, me dit-on, comme il s’en fabrique beaucoup à Spézet.

UN BERCEAU À SPÉZET.

Je quitte ce logis hospitalier pour aller visiter la chapelle du Cran, où mon conducteur tient absolument à me mener en voiture. C’est à un demi-kilomètre de là, par un joli chemin verdoyant qui conduit au ruisseau du Cran. Au début de la route, nous rencontrons un curé monté sur un âne. L’âne et le cheval échangent un braiment et un hennissement, nous échangeons un salut avec le curé, et nous arrivons, en quelques instants, à la chapelle. Il y a là un joli terrain herbu, ombragé d’arbres, où se tient peut-être un pardon annuel, où il y a sûrement place, les dimanches et les jours de grandes fêtes, pour tous ceux qui viennent causer debout, autour des marchandes de gâteaux et de pommes. La clef est chez une bonne femme, à côté, me dit le voiturier. Et il va la quérir. Il revient bientôt. La clef est chez le curé de Spézet. Elle était probablement dans la poche de celui que nous venons de rencontrer, s’en revenant tranquillement au pas de son âne. Le voiturier court à toutes jambes la chercher. Mais il s’arrête sans doute de courir ou stationne dans quelque débit, car il met un assez long temps à revenir. Je reste seul dans le petit enclos formé autour de la chapelle par des murs de terre couverte de gazon et par des rangées d’arbres. Je regarde et j’écoute. La petite chapelle est humble, sans rien de caractéristique, des murs gris, un clocheton, des portes basses. Par-dessus le mur, la campagne au soleil, des champs à perte de vue, çà et là de minuscules silhouettes humaines, et un grand silence à travers lequel je perçois de temps en temps le tic-tac d’un moulin et le murmure de l’eau. C’est un des aspects ordinaires d’un voyage de ce genre, et je suis venu voir cela, simplement, en même temps que, dans cette chapelle, des vitraux qui sont, dit-on, fort beaux. Comment expliquer la sensation que j’éprouve, la mélancolie profonde qui s’empare tout à coup de moi à me voir là, seul, dans ce pays perdu, au pied de la montagne Noire. Il y a des minutes de ce genre, et