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Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/515

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de Port-Launay mirées dans l’eau, et je vois aussi la couleur bleuâtre des anciennes ardoisières qui dominent la ville. Ici, ce soir, pas de pluie. La soirée est d’une douceur parfaite. La lune brille au ciel, dans un espace limpide où ne se forme pas un nuage. Châteaulin me semble plus calme encore que Pleyben. Ce paysage de la ville, bâtie sur les deux rives de l’Aulne, entre deux murailles de collines, ce paysage est simple, reposé, d’une simplicité et d’une sérénité particulières. Tout est net, ajusté, rectiligne, les bords des quais, les silhouettes des maisons, les trottoirs, l’eau, les formes et les reflets. L’hôtel où je descends est immense, sombre, et les chambres n’invitent pas à un long séjour, mais je garde un bon souvenir à la table d’hôte, où le dîner, assez bon, fut terminé par un dessert incomparable de fraises de Port-Launay, le village aperçu tout à l’heure au tournant de la rivière, « Elles sont meilleures que celles de Plougastel », me dit un convive à qui je confesse mon goût pour ces fruits magnifiques, blancs et roses, frais, fermes et parfumés, qui viennent, à n’en pas douter, d’être cueillis. Comme les fraises de Plougastel, qui sont pourtant, elles aussi, exquises, sont absentes, je m’empresse en effet de leur préférer les fraises de Port-Launay.

Au matin, après la soirée claire et pure de la veille, c’est la surprise de la pluie, la pluie bretonne mêlée à l’air en une brume presque imperceptible, la pluie qui mouille lentement toutes choses, qui les imprègne. J’aime cette atmosphère de vapeur d’eau, malgré sa mauvaise influence pénétrante. Mais elle est d’une telle douceur parfumée, et les choses sont si jolies à travers ces voiles de dentelle grise qui se croisent et se décroisent sur elles. C’est sous cette fine pluie que je parcours Châteaulin, que je longe sa rivière de l’Aulne, que les Bretons nomment l’Ar ster aoûn, que je regarde le mouvement tranquille de son port. Il peut y venir des bateaux jaugeant cent tonneaux pour y charger des grains, des ardoises, des minerais. D’autres font la pêche du saumon. Châteaulin a un passé dont il ne reste guère que quelques ruines, un tronçon de tour tapissé de lierre et de mousse. L’ancienne chapelle du château est devenue, après différentes transformations, l’église Notre-Dame. Ce qu’elle a de plus remarquable, c’est la vue que l’on a du haut du clocher sur les vergers des environs, les quais et le viaduc de Port-Launay.

CHÂTEAULIN : LES MAISONS DU QUAI, AU BORD DE L’AULNE, AU BAS D’UNE COLLINE ROCHEUSE.

L’histoire de la ville tient en peu de mots. Le premier habitant de Châteaulin fut, dit-on, saint Idunet, qui avait son ermitage sur la colline. L’ermitage fut remplacé par un prieuré, bâti de l’autre côté de la rivière. La forteresse, au xe siècle, s’ajouta au prieuré. Au xiie siècle, la ville fut le théâtre de démêles entre le vicomte du Faou et le comte de Léon, et il lui fallut soutenir un siège contre Conan IV. Après, c’est la tranquillité jusqu’à la Ligue et le passage de bandes pillardes. Et c’est tout. La physionomie de la ville est d’ailleurs placide et charmante. Elle semble avoir pour occupation principale de se mirer dans l’eau. À part le mouvement des bateaux, qui n’est pas, d’ailleurs, effréné, on peut se demander comment le temps se passe ici. Les ardoisières, très célèbres autrefois, ont, me dit-on, beaucoup perdu de leur importance. Il y a une vingtaine d’années, je me souviens qu’il y avait, du fait de ces ardoisières, une certaine animation que je ne retrouve pas cette fois. Elles semblent ne plus guère avoir d’autre utilité que de dominer la ville de leurs couleurs sombres, noirâtres et bleuâtres. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Cette ville calme n’est pas morte, car elle est propre et suggère des idées d’ordre et de bien-être. C’est, je crois bien, la première cité de France qui fut éclairée à la lumière électrique, ce qui indique l’esprit d’initiative sous cet aspect sommeillant. Mais l’aspect d’une ville dépend du jour où le voyageur passe. Je suis certain que la jolie sous-préfecture doit être fort animée à certaines dates de fêtes, de réunions, de marchés. Quand elle a donné toute son activité aux heures nécessaires, elle s’arrête, elle se repose, et elle a raison.