Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/514

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gothique et Renaissance, vaste, irrégulière, dresse trois clochers, dont l’un est une solide tour carrée ouverte par un porche où s’abritent les Apôtres, terminée par des clochetons et un dôme. L’intérieur est éclairé de beaux vitraux de 1564. Le calvaire est daté de 1650, ce serait donc le dernier des calvaires bretons. C’est aussi le mieux construit, le mieux équilibré, celui dont l’architecture est tout à fait simple, forte, explicite. Les personnages sont revêtus de costumes du xvie siècle, mais néanmoins la date de 1650 est gravée avec le nom de l’architecte, Yves Ozane, de Brest, sur la table de la Cène.

ÉGLISE DE PLEYBEN : PORCHE DES APÔTRES.
ÉGLISE DE PLEYBEN : VITRAIL DE 1564.

On peut trouver singulière cette date de 1650, Charles Le Goffic, qui a étudié et classé les grands calvaires bretons, émet fort légitimement quelques doutes : « Tout, en effet, dans ce calvaire, revêt un caractère d’archaïsme très prononcé. Nous sommes sous Louis XIV et les acteurs de la Passion se présentent à nous avec les pourpoints tailladés, les fraises et les harnais de guerre, des contemporains de Henri II. Faut-il croire qu’Ozane, comme on l’a supposé, s’est borné à copier d’anciens modèles ? A-t-il cru, ce faisant, donner à son œuvre une façon de couleur locale et le recul nécessaire pour permettre de la mieux juger ? Toutes les suppositions sont permises. » D’autre part, la conception architecturale, raisonnée et claire, peut fort bien être datée de la Renaissance. « Ozane, — dit encore Le Goffic, — s’il s’inspire de ses prédécesseurs, ne les copie point servilement. M. Léon Palustre signale avec raison l’évidement du massif central comme une des modifications les plus heureuses qu’on doive à cet architecte ; la plate-forme du calvaire porte sur deux passages voûtés qui se croisent à angles droits, et l’on comprend mieux ainsi le rôle des projections en diagonale, qui ne sont plus seulement en apparence, mais en réalité de véritables contreforts. Les arcades de la partie supérieure ont disparu ; le mur se montre plein du haut en bas. De même la frise, qui court autour du calvaire et qui avait beaucoup trop de hauteur à Guimiliau et à Plougastel, est ici en rapport plus rationnel avec la base (1/5 environ). Enfin les groupes sont distribués avec plus d’art ; il y a moins d’encombrement ». La question reste donc ouverte. Aux chercheurs de découvrir pourquoi Yves Ozane, vivant au xviie siècle, a conçu une œuvre du xvie siècle, ou s’il a restauré en quelque partie et signé l’œuvre d’un autre. L’important, pour moi, aujourd’hui, est que la belle œuvre d’art s’harmonise admirablement à l’heure du jour, à la couleur du ciel, à la grandeur de la place. Tout s’engrisaille d’une couleur de pluie. Le vaste espace est presque désert. C’est à peine s’il y a une silhouette au seuil d’une boutique, quelque passant vu au loin. Le calvaire, dans ce délaissement, devient presque une chose vivante, une sorte de petit théâtre où se joue encore un mystère d’autrefois. Je crois voir remuer les petits personnages de pierre, inclinant la tête, faisant aller leurs jambes et leurs bras à la façon des marionnettes. Mais c’est l’air humide, la bruine éparse, qui leur donnent cette apparence fantastique de mouvement. Je les laisse à leur représentation. Ils vont être tout à fait seuls pendant la soirée, la nuit, et ils vont continuer leurs gestes et leur drame, sans public, sans une illumination d’étoiles, au bruit de l’averse probable. Il faut partir.

Il fait presque nuit lorsque j’arrive à Châteaulin, mais j’ai cru apercevoir la belle courbe de la rivière, avec les maisons blanches