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l’admirable baie, en s’arrêtant tous les cent pas pour voir et voir encore. Mais tout cela, c’est l’à-côté de Douarnenez. Il me faut parler de la ville.

Car c’est une ville, Douarnenez, qui n’est qu’un simple chef-lieu de canton, compte environ douze mille habitants, est bâtie sur un rocher, à l’embouchure de la rivière de Pouldavy, en face de la petite île Tristan, occupée par une usine, ou confiserie de sardines. Douarnenez est, en effet, comme tant d’autres, un port de mer « renommé pour ses sardines ». La motte de terre de l’île Tristan supportait jadis un prieuré que le bandit Fontenelle fit évacuer pour s’y loger. Il y demeura trois ans, en dépit des efforts de la garnison de Brest pour l’en chasser. Selon la tradition, l’île Tristan aurait reçu son nom d’un des héros du roman de la Table Ronde, Tristan le Léonois, qui vida avec Yseult la coupe contenant le boire amoureux destiné au roi Marc’h. Entrons en ville. Les rues, les ruelles ont toutes l’odeur de la sardine. À l’extrémité de chacune de ces rues ou venelles, c’est le port, les barques à sec, ou balancées par l’eau, le départ ou le retour des voiles, — la mer. Partout des marins, allant, venant, chaussés de sabots, le pas lourd et sonore, portant des paniers de poissons, traînant des filets. Partout des sardinières allant à quelque usine ou en revenant, et des enfants aussi qui vont à l’usine, ou qui commencent d’apprendre la pêche. Ici, comme ailleurs, on souffre sans cesse du mal dont on a parfois l’émoi à Paris, on souffre des rares passages de sardines, des pêches infructueuses, des bas prix fixés au marché des usines, de la misère. Les gens connaissent l’incertitude, l’inaction, la faim pour eux et les leurs. L’été, ils parviennent à vivre. Mais bien peu ont un lopin de terre, une vache à mener à la pâture. L’hiver, ils s’éreintent et s’exposent souvent en vain. Devant la mer de Bretagne, triste et hostile sous le ciel de pluie, ils rêvent alors d’une mer bleue, riante au soleil, qui serait peut-être accueillante et meilleure nourricière. Il paraît que la barque et l’outillage ne sont pas organisés pour toutes les pêches, en tous temps. Un effort, une initiative seraient nécessaires pour dégager l’homme de la routine et de l’habitude, puisque l’eau féconde est toujours là, avec ses richesses perpétuellement renouvelées. Telle qu’elle est, voici la pêche à Douarnenez avec son personnel, ses bateaux, ses moyens, ses usages. Nulle part, mieux que là, nous ne pourrons l’examiner et la connaître.

PÈLERIN À LOCRONAN, MONTANT LES MARCHES DE L’ÉGLISE.

Les bateaux de pêche sont de véritables petits vaisseaux, carénés, pontés, et gréés d’un ou plusieurs mâts, selon leurs dimensions. La plupart sont montés par trois marins, qui se rendent à leur barque à l’aide d’une « plate », lorsque l’embarcation n’a pu accoster. Ils sont vêtus d’un pantalon de droguet, d’une chemise de laine, la tête coiffée d’un béret ou enveloppée d’un suroit, selon la saison, les pieds nus, ou chaussés de sandales. Le départ est généralement silencieux. Peut-être les pêcheurs ne songent-ils pas toujours aux surprises du temps, aux perfidies et aux violences de la mer mystérieuse. Mais ils sont tout au départ, et soigneux des préparatifs. Chacun est muni d’un petit panier de provisions qu’il enferme dans la carène, avant de prendre son poste, l’un aux cordages qui manœuvrent les voiles, un autre à la barre, le troisième aux instruments de pêche, qui varient selon le cas. Je sais bien que beaucoup de personnes connaissent ces détails, mais un bien plus grand nombre encore les ignorent, et le récit d’un voyage en Bretagne ne serait pas complet sans un exposé précis et simple de cette existence des côtes.

Les voiles larguées et gonflées par le vent, on peut lire les inscriptions indiquant le port d’attache de l’embarcation : deux ou trois lettres capitales avec un numéro d’ordre, qui serviront, soit pour la constatation des délits par les garde-pêche, soit pour reconnaître les épaves en cas de malheur. Toute la flottille s’élance, et c’est un beau spectacle que celui de cette masse évoluant en bon ordre, dans le même sens, et tout de suite, la jetée dépassée, se dispersant sur l’immensité de l’eau. Les barques s’inclinent, à tribord, à bâbord, plus ou moins bas, selon la force du vent, ou la rapidité du mouvement de manœuvre qui les ramène en équilibre. Elles dansent, soulevées par les flots qui les projettent à des hauteurs d’où elles retombent brusquement, comme au fond d’un précipice. Les amateurs qui ont voulu prendre part à une pêche regrettent bien souvent, à cet instant, de s’être aventurés. Le mal de mer s’abat sur eux, et certains se