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odorant de xviiie siècle, vient à point pour réunir les souvenirs de l’armée de l’ancien régime et de l’armée de la première République. Quelques centaines de mètres parcourus, c’est la place du Champ de Bataille bâtie en terrasse, et tout un panorama des montagnes Noires, de la vallée de l’Hière, des rives du canal de Brest, coteaux perdus dans l’immensité, feuillages bleuis dans le lointain. Au milieu de la place, La Tour d’Auvergne en statue, debout, tenant son bonnet de grenadier et son fusil, et ceint de son épée d’honneur. Cette statue a été exécutée, en 1841, par Marochetti, placée sur un piédestal dont les quatre faces portent des inscriptions et des bas-reliefs en bronze : La Tour d’Auvergne fait ses adieux aux époux Le Brigant, en une composition qui fait vaguement songer à un Greuze dramatique et sentimental ; La Tour d’Auvergne sauve un soldat blessé ; La Tour d’Auvergne enfonce les portes de Chambéry ; La Tour d’Auvergne est tué d’un coup de lance à Oberhausen en Bavière. Carhaix, c’est La Tour d’Auvergne. Son nom est sur les enseignes. L’Hôtel de ville garde son portrait, une de ses dents, une mèche de ses cheveux et ses boutons de guêtre. On sait sa vie militaire. Fils d’un bâtard de la maison de La Tour d’Auvergne, descendant de Turenne, le grand homme de Carhaix adopta la vie militaire pour avoir un état qui lui laissât le loisir d’étudier. Ce guerrier, en effet, fut surtout un savant. Il étudia la plupart des langues de l’Europe, et s’il refusa tout avancement au-dessus du grade de capitaine, et plus tard le mandat législatif, c’est qu’il avait des projets qui lui tenaient autrement au cœur. Il prit sa retraite de bonne heure pour se donner tout entier à ses recherches sur l’histoire de la Gaule, qu’il voulait établir sur des bases nouvelles, s’appliquant à déterminer des rapports entre les Bretons et les Gaulois, à établir l’identité de la langue des deux peuples, à rétablir l’histoire et la théogonie des païens et à ressusciter la langue des Celtes. Ces travaux commencés par La Tour d’Auvergne déterminèrent la fondation, en 1807, de l’Académie Celtique. Mais La Tour d’Auvergne n’était plus là pour la voir fonctionner. Sa générosité lui fit remplacer, en 1796, le dernier fils de son ami Le Brigant à l’armée d’Helvétie, et là il trouva la mort.

Une promenade à travers les rues de la ville, la Grand’Rue, la rue Pavée, la place de l’Hôtel-de-Ville, donne à contempler les maisons les plus étranges, les plus cocasses, telles qu’on en voit aux dessins de Gustave Doré et de Victor Hugo. Ce sont des rez-de-chaussée de granit, des étages encadrés de poutres, des façades écaillées d’ardoises, des pignons qui semblent raccommodés, rapiécés, des constructions qui témoignent d’une imagination bizarre, enfantine. Telle la boulangerie-épicerie Pinson, la cour de la Perception, etc. Certaines de ces maisons sont noires, bois et ardoise. D’autres sont blanches, passées à la chaux, à croire qu’elles viennent d’être trempées dans la crème. Oh ! les amusantes maisons ! la féerie délicieuse ! et que l’on peut s’amuser à Carhaix en scrutant tous ces vieux visages si ridés, si renfrognés et si gais, qui ouvrent la bouche par la porte du rez-de-chaussée, qui clignent de l’œil par les lucarnes du toit.

L’église gothique, collégiale de Saint-Trémeur, de la Renaissance, est fort belle avec sa tour carrée, son portail et sa rosace de style flamboyant. L’église de Plouguer, plus ancienne, du xve siècle, est aussi à tour carrée et possède un retable avec un arbre de Jessé. Je crois tout dire en ajoutant que Carhaix est l’un des plus importants marchés de bestiaux de la Bretagne. En dehors des marchés du samedi, il s’y tient plusieurs grandes foires, le 13 mars, le jeudi après Pâques, la veille de l’Ascension, le 30 juin, deux autres en août, le 20 septembre, le 2 novembre et les jours suivants, et la dernière le 29 novembre.

LA TOUR DE L’ÉGLISE DE ROSTRENEN VUE AU-DESSUS DE LA VERDURE.

Je vais en chemin de fer de Carhaix à Rostrenen pour gagner Glomel, qui est un point peu connu, d’un intérêt particulier. Mais arrivé à Rostrenen, je m’y arrête. Rostrenen, d’après les érudits, le P. Grégoire, de