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taient à apprendre un peu l’incomparable intérieur de la Bretagne, Mur pourrait être le centre d’excursions peu banales en ce pays accidenté, agreste, sauvage, et en même temps infiniment doux, fait de collines escarpées et rocheuses, de prairies arrosées par le Blavet. La vallée de Pouttangre est un exemple de ces excursions pittoresques. Le nom du bourg lui vient du fait que ses maisons étaient autrefois entourées de courtines ou de murs en prévision d’un siège et d’un assaut. De tout ce que l’on raconte sur le pays, je retiens ceci, qu’on a trouvé, il y a une cinquantaine d’années, derrière une ancienne cheminée, le squelette d’un chevalier recouvert de son armure. La légende intervient alors pour mettre en scène le châtelain de Mur, nommé Gwengrézangor, sa femme et ledit chevalier. Gwengrézangor, dont le principal labeur consistait à piller ses voisins et à dévaliser les passants, découvrit un jour que sa femme avait un amant. Il surprit le couple, enferma sa femme vivante dans un tonneau intérieurement hérissé de clous et la jeta dans un étang, tandis que le chevalier était muré, tout vivant aussi, dans une cheminée. L’imagination au service de la cruauté. Mur, qui fut un centre actif de résistance à l’époque de la chouannerie, n’est plus qu’une bourgade tranquille où l’activité s’exerce dans l’exploitation des carrières d’ardoises environnantes.

VALLÉE DE POUTTANGRE, PRÈS DE MUR DE BRETAGNE.

Il se trouve que je ne vais pas tout de suite à Corlay, que je vais de Mur à Quintin par Uzel. Uzel est dépourvu d’intérêt en dehors du pardon, qui s’y tient le jour de la Trinité. Des courses de chevaux sont, à cette occasion, organisées sur la route de Quintin, près de la forêt de Lorges. Le soir, on danse au son du biniou. Les femmes du pays viennent au bal avec leur originale coiffure en forme de guimpe, qui leur serre la tête, cachant entièrement la chevelure, et se noue sous le menton par deux lacets. Certaines n’ont rien à cacher, ont vendu leur chevelure au marchand.

Que l’on pénètre à Quintin par la route ou par l’avenue de la gare, on a une vision étrange et charmante : des jardins, des promenades, un calvaire, un étang que traverse le Gouët, le château en partie masqué par la verdure, mais qui n’en présente pas moins un alignement majestueux, avec ses hautes murailles percées de fenêtres grillées, ses cheminées et ses combles, qui ressemblent à des tourelles et à des guérites, et les revêtements de pierre crénelés qui rappellent l’ancienne citadelle. Que de souvenirs dans cette bizarre petite ville, si irrégulière, si pittoresque, dont le rôle est fini, qui n’a plus que l’importance d’un modeste chef-lieu de canton ! La seigneurie de Quintin, en 1209, est aux mains de Geoffroy Ier, fils d’Alain Ier. En 1294, la ville est démantelée, puis les murs sont rebâtis. En 1347, les paysans révoltés contre les Anglais s’arment, combattent, ramènent deux cent cinquante prisonniers que les bouchers et les charcutiers de la ville massacrent. En 1487, Pierre le Long et Yvon de Rouef prennent Quintin à Pierre de Rohan. Les envahisseurs sont chassés. Un autre revient. En 1592, Mercœur s’empare de la ville. En 1636, La Trémoïlle la vend au marquis de la Moussaye, qui lui-même la cède à Gui Aldouce de Durfort. En 1691, la circonscription de Quintin est jointe aux terres de Pommerit, d’Avangour et de l’Ermitage, et l’ensemble forme un duché qui bientôt est joint à celui de Lorges. Quintin, en somme, fut une véritable place forte défendue à l’est par le château, les portes Neuve et Saint-Julien ; au nord, par la porte Rose ; à l’ouest par la porte Notre-Dame, garnie de herses et d’un pont-levis ; au sud, par le château Gaillard.

Il existait jadis à Quintin des droits seigneuriaux dont quelques-uns méritent une mention. En 1519, à l’occasion de la foire du 22 septembre, il était de règle d’offrir au seigneur et à ses officiers un dîner de gala « servi par gentilhommes, et par rôtis et bouillis, vin blanc, vin rouge, feu sans fumée, etc., et à l’issue dudit dîner, de l’eau chaude pour laver les mains,… et une livre de poivre, et un sac de cuir blanc. » Les habitants étaient tenus de cuire leur pain au four banal de la ville. À la Toussaint, chaque maison devait payer un droit dit de fumage, (À ce moment on acquittait un droit pour être autorisé à se chauffer ; aujourd’hui, sous le vocable de « portes et fenêtres », on paie l’air respirable.) Une demoiselle Françoise Qui-