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niac, propriétaire d’une maison sise au « bout d’en haut » de la halle, devait, aux termes d’un aveu fourni par elle en 1616, donner tous les ans au seigneur douze aiguillettes de ruban, ferrées de laiton, et une paire de vergettes de « menues bruères ».

L’ancien château de Quintin, aperçu à l’arrivée, et qui fut démantelé à l’époque de la Ligue, a été réédifié en partie en 1662 par le sire Amaury de Gouyon et complété à la fin du xviiie siècle par le vicomte de Choiseul. Les travaux avaient été entravés par l’évêque de Saint-Brieuc, qui prétendait que l’édifice devait servir d’arsenal et de forteresse aux huguenots. Cette luxueuse habitation, fermée aux visiteurs, appartient à la marquise de Courtibourne. Elle renferme de précieux souvenirs historiques, des tapisseries des Gobelins armoriées, à sujets mythologiques : Neptune sortant des eaux, Phœbus conduisant le char du Soleil, les jardins d’Armide, l’enlèvement de Proserpine par Pluton, des portraits et des meubles ayant appartenu à la famille de Lorges, des blasons sur verre colorié, enfin la chambre et le lit où coucha Turenne, lors de son passage à Quintin.

MARCHAND DE CHEVEUX PRENANT LIVRAISON DE SON ACHAT, DANS UN INTÉRIEUR, PRÈS QUINTIN.

L’église Notre-Dame a été, dans la nuit du 7 au 8 janvier 1600, en partie détruite par un incendie dû à l’imprudence du sacristain ivre qui mit le feu à son lit. La flamme gagna la sacristie, se propagea. Un fragment de la ceinture de la Vierge, rapporté de Jérusalem par Geoffroy Ier, fut retrouvé intact dans les décombres et cette relique est encore conservée dans l’église. Jadis un prêtre la portait aux femmes enceintes qui en faisaient la demande « pour en estre ceintes avec reverence et obtenir un facile et heureux accouchement. » Peu de choses dans cette église, quelques dalles tumulaires, quelques peintures murales de Dauban. Une promenade par les rues de la ville est plus fructueuse. Des vieilles maisons sont ornées d’inscriptions. Dans la rue du Lait, on lit sur une plaque : Vive Dieu et sa puissance. Le 17e jour de avril 1564 fut comancé ce bâtiment et feut perfect le 30 de octobre du dit en. Plus loin, sur une autre maison : Nil nisi consilio. Près de l’église, non loin de la porte Neuve, reste des anciennes fortifications, dans une étroite venelle : Dieu soit céans, 1611. Grande rue Mercier, ce distique :

Si l’amour de Marie en ton cœur est gravé,
En passant ne t’oublie de lui dire un ave.

Pour sortir de la ville par le chemin des Carmes, on passe devant l’hospice qui a remplacé, en 1752, celui que Pierre de Rohan et Jeanne du Perrier avaient fait édifier en 1498, en même temps qu’ils le dotaient d’une rente de cinq reix de seigle pour la nourriture des pauvres. Le mur qui donne sur la rue est creusé d’une niche où l’on voit un mendiant agenouillé devant une sainte avec cette légende : CHARITAS REDATUR, et au-dessous, une autre inscription gravée dans un triangle : 1752 DOMUS A DEI ÆDIFICATIO.

À l’entrée du chemin des Carmes, à l’ombre de beaux frênes et de chênes têtards, tout le long d’un mur, s’échelonnent les T à dents d’un cordier qui est là à tortiller ses aussières, ses grelins, ses torons, ses bitards et ses merlins, tandis qu’une jeune fille, abritée dans une cabane, tourne la manivelle. Ces deux êtres, sur lesquels semble peser encore l’ancienne réprobation qui entourait les caqueux, cordiers et tailleurs, me regardent d’un air timide et répondent gauchement aux explications que je leur demande. Les préjugés ont beau s’atténuer, les cordiers, en Bretagne, sont encore tenus en suspicion, parce que leurs devanciers ont « fabriqué la corde qui a servi à pendre Notre Seigneur ».

C’est de Quintin que j’irai voir Corlay. Le cheval qui doit m’emmener est d’aspect squelettique assez inquiétant, mais le cocher m’affirme que c’est le « meilleur du pays ». Nous verrons bien. Je ne compte pas,