Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 19.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le soleil derrière nous, par suite, nous serons moins exposés aux ophtalmies. En second lieu, nous passerons sous la tente les heures chaudes de la journée et nous pourrons ainsi faire sécher nos vêtements.

Nous éprouvons un véritable bien-être à avoir le dos au sud : le vent soufflant presque constamment de cette direction, les engelures et les cicatrices qui nous couvrent la figure ne se trouvent plus exposées à ce vent cuisant. Combien il nous tarde d’atteindre la Barrière, pour pouvoir respirer librement ! Ici, nous sommes constamment oppressés. Les étapes seront désormais de 28 kilomètres. Seule la crainte de surmener les chiens nous empêche d’allonger l’allure. Cette appréhension n’est pas justifiée, car, en cinq heures seulement, et sans effort, les attelages couvrent la distance fixée.

Le 19 décembre, nous tuons Lasse, mon chien favori. Il est complètement épuisé. Sa dépouille, partagée en quinze portions, régale les survivants. Ces rations intermittentes de viande fraîche ont contribué dans une large mesure au succès de notre entreprise. Après ces extras, les chiens acquéraient une nouvelle vigueur et tiraient beaucoup mieux.

20 décembre. — Temps très aigre ; brise de sud-est et horizon bouché. Ayant perdu la piste, nous marchons à la boussole pendant quelques heures. Comme d’habitude, soudain le ciel s’éclaire et de nouveau la plaine se découvre devant nous. La chaleur nous oblige à enlever une partie de nos vêtements ; malgré cela, nous transpirons encore. Nous retrouvons nos cairns ; l’un après l’autre ils surgissent à l’horizon. Rapidement nous nous rapprochons du dépôt établi sous le 88° 25′. Dans ces parages, le terrain monte insensiblement vers le nord.

Ces derniers jours, notre appétit est devenu véritablement inquiétant. Les skieurs notamment font preuve d’une voracité extraordinaire : ils avaleraient des cailloux. Les conducteurs, eux, ne sont point aussi affamés : cela tient probablement à ce que, pouvant pendant la marche s’appuyer sur leurs traîneaux, ils produisent un moindre effort que les patineurs. Grâce à Dieu, l’abondance des provisions permet une augmentation des rations lorsque la faim devient trop impérieuse. Depuis le départ du Pôle, chaque homme reçoit une portion de pemmican plus copieuse ; grâce à cette mesure, peu à peu cet appétit féroce s’apaise.

L’ordre de route est ainsi fixé : à six heures du soir, réveil ; à huit heures du matin, les 28 kilomètres de l’étape sont couverts ; nous dressons alors la tente, nous préparons le repas, puis nous nous reposons pendant douze, quatorze et même seize heures. Ces longs arrêts nous parurent bientôt intolérables, d’autant que notre sommeil était agité. Pendant la première partie du voyage de retour, ils mirent notre patience à une rude épreuve. Bien que ces haltes interminables fussent inutiles, nous les conservâmes cependant tant que nous fûmes à de grandes hauteurs.

La Noël approche. Nous ne pourrons la célébrer pompeusement ; n’importe, nous fêterons ce grand jour avec tout le luxe que nous permettent les circonstances. Il est donc nécessaire d’arriver au dépôt le 24, afin de pouvoir nous régaler ce jour-là de bouillie d’avoine.

L’avant-veille de Noël, nous tuons Svartflekken. Nous ne portons pas son deuil. Ce chien s’est toujours conduit en vaurien. Voici l’oraison funèbre que je lui consacre dans mon journal : « Ce soir, abattu Svartflekken. Il refusait de travailler, bien qu’il ne parût pas malade ; c’était un vilain personnage. S’il eût été un homme, il eût fini au bagne. Relativement gras, sa dépouille est un régal pour ses camarades. »

SONDAGE D’UNE CREVASSE.

24 décembre. — Voici le grand jour. Temps variable, tantôt couvert, tantôt clair. Partis la veille à huit heures du soir, nous atteignons le dépôt à minuit. Le ciel est dégagé et la température relativement chaude. De toute la journée nous n’avons plus rien à faire : nous pourrons célébrer à notre guise la veille de la Nativité. Wisting, qui cuisine aujourd’hui, ramasse soigneusement toutes les miettes de biscuit, les broie, et, avec un sachet de lait en poudre, confectionne la