Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 19.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chorus, notre ami essaya d’obtenir des renseignements plus intéressants. Ses deux interlocuteurs lui annoncèrent alors que deux de leurs compagnons étaient allés exécuter des observations météorologiques sur la Barrière et devaient rester absents une semaine environ. Quant au Kaïnan Maru, il était parti dans la direction de la Terre du Roi Édouard. Avant le 10 février, leur bateau devait être de retour ; tous les membres de l’expédition s’embarqueraient alors pour faire route dans le Nord. Presterud avait invité les deux Nippons à nous faire visite à Framheim, mais nous ne les vîmes point. Si plus tard ils sont allés à la station, ils auront vu que nous avions pris toutes les dispositions pour rendre notre maison aussi agréable que possible à nos successeurs.

Quand la brume se lève, nous sommes au large, dans des eaux complètement libres pour ainsi dire. Quelle sensation agréable cette mer d’un bleu foncé et ce ciel couvert produisent sur nos yeux habitués à ne contempler qu’une éblouissante blancheur. De nouveau nous pouvons regarder le monde extérieur, sans verres fumés et sans qu’il soit besoin de clignoter pour ne pas être aveuglés… Cette fois encore la mer de Ross nous est clémente. Poussés par une brise de sud-ouest, deux jours plus tard, nous sommes à environ 200 milles au nord de la Barrière.,

Nilsen a établi une carte des limites de la banquise, d’après les observations recueillies au cours des trois voyages accomplis par le Fram dans ces parages. L’existence permanente d’un passage le long du 150° de longitude ouest semble dûment confirmée par son travail. Les déplacements en longitude, d’ailleurs peu importants, que subit d’une année à l’autre cette ouverture, seraient dus, d’après Nilsen, à l’action des brises. Dans le cas où la glace devient compacte, il a observé qu’en se tenant au vent il est toujours possible de trouver un chenal libre. Si cette méthode oblige à des détours, elle offre, en revanche, l’avantage de permettre toujours d’avancer.

Trois jours après le départ, nous rencontrons la banquise à peu près dans la même position où elle a été abordée dans les trois voyages antérieurs. Quelques heures plus tard, elle devient si épaisse qu’il serait dangereux de continuer. C’est le moment d’expérimenter la méthode de Nilsen ; le vent, très faible, souffle de l’ouest ; en conséquence la barre est mise à tribord, et le navire vient dans l’ouest. Pendant quelque temps, nous faisons même du sud ; ce crochet n’est pas inutile : après avoir marché quelques heures dans le vent, nous trouvons de nombreuses ouvertures. Si nous avions continué à gouverner dans la direction première, peut-être eussions-nous été longtemps retenus, alors qu’à quelques milles de là se trouvait un passage. C’est le seul détour un peu long auquel nous sommes astreints. Bientôt la glace diminue, et, le 6 février, la houle annonce l’approche de la fin de la banquise.

Sur la mer de Ross, point de ces vents de sud-est ni d’est, si fréquents autour de Framheim. Le plus souvent la brise souffle du nord, toujours très faible, suffisamment toutefois, pour retarder notre bon vieux bateau. Pendant les huit premiers jours, le ciel demeure couvert ; par suite, impossible d’observer. Seulement, le 7 février, nous pouvons prendre une hauteur méridienne assez bonne ; elle nous place au nord du cap Adare, par conséquent au large du continent antarctique.

PAYSAGE DE PRINTEMPS.

Quarante-huit heures de fraîche brise de sud nous poussent assez rapidement au delà des îles Balleny, et, le 9 février, nous sortons de la zone polaire australe. Il y a, plus d’un an, nous avions franchi avec joie le cercle antarctique ; aujourd’hui, notre satisfaction n’est pas moindre de le traverser pour rentrer dans le monde civilisé. Au milieu du branle-bas du départ, la réunion des deux groupes de l’expédition n’a pu être célébrée. Aussi décidons-nous de fêter cet heureux événement le jour du passage du Cercle polaire. Le programme fut très simple : une tasse de café supplémentaire, accompagnée de punch et de cigares.