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Le thermomètre s’élève notablement au-dessus de zéro ; ceux qui portent encore des fourrures les abandonnent pour des vêtements plus légers. Les habitants de Framheim furent les derniers à opérer ce changement. On se trompe gravement en pensant qu’un long séjour dans les terres polaires rend moins frileux. Le contraire est généralement vrai. Dans une contrée où la température est tous les jours de 45° sous zéro, ou même descend plus bas, de bonnes et chaudes fourrures vous empêchent de sentir le froid, tandis que la tenue en usage dans les régions civilisées ne vous offre aucune protection. Résultat : dans son pays, par 30° ou 35° sous zéro, un explorateur polaire claque des dents.

À mesure que nous remontons dans le nord, les jours diminuent. Cette circonstance nous oblige à redoubler d’attention et à avoir l’œil toujours ouvert pour parer les glaces. Si nous en avons fini avec les banquises antarctiques, nous avons encore à compter avec les icebergs. La nuit, une bonne vigie peut apercevoir de très loin la lueur blanche reflétée par ces gros blocs, mais il n’en va pas de même pour ceux de petite taille ; ceux-ci n’émergent que de quelques mètres, par suite, ne produisent aucune blancheur dans l’obscurité. Or, ces petits icebergs sont tout aussi dangereux que les grands. Dans ces zones de transition, où la température de l’eau est toujours très basse, il serait imprudent de se fier aux indications du thermomètre plongeur pour connaître l’approche de ces montagnes de glace flottantes.

LE « FRAM » AU BORD DE LA GLACE (JANVIER 1912).

Les parages dans lesquels nous nous trouvons ne sont pas encore très connus. Le capitaine Colbeck, qui commandait un des navires envoyés pour ravitailler la première expédition de Scott, à découvert à l’est du cap Adare une petite île ignorée, à laquelle il a donné le nom de cet explorateur. Il est fort possible qu’il en existe d’autres dans cette région.

Dans ces parages, des vents de nord-est mirent notre patience à une rude épreuve en retardant le Fram de près de deux semaines. Après bien des tribulations, dans l’après-midi du 4 mars, la Terre de Tasmanie est en vue.

La côte sud de la Tasmanie présente trois promontoires. Lequel des trois caps avons-nous devant nous ? Nous l’ignorons. La brume empêche de discerner les contours de la terre. Quand, après une nuit d’incertitude, le jour paraît de nouveau la terre devient visible. Le cap que nous voyons est, croyons-nous, Tasman Head. Poussés par une brise très fraîche, le Fram avance rapidement vers la terre. Dans quelques heures, pensons-nous, nous serons arrivés à Hobart.

Nous nous mettions à table pour déjeuner, lorsque l’officier de quart descend en coup de vent. Nous sommes du mauvais côté du cap, nous annonce-t-il. Tout de suite, nous grimpons sur le pont. En effet, sous une pluie épaisse, nous nous sommes trompés. La pointe que nous avons prise pour Tasman Head appartient à l’île Tasman, comme l’indique le phare qui la surmonte ; au lieu d’être dans la Storm Bay, nous nous trouvons encore dans le Pacifique, sous le vent de ce maudit cap.

Il ne nous reste qu’à louvoyer et à essayer de gagner dans le vent, bien que cela semble fort inutile. La brise souffle maintenant en tempête ; avec notre Fram, au lieu d’avancer, nous avons des chances de dériver. Nous hissons toute notre toile et mettons au plus près. Au début, nous espérons gagner la partie, mais à mesure que nous nous éloignons de la terre et que le vent force, nous sommes dépallés. Vers midi, nous virons pour nous rapprocher de la côte ; à ce moment, une violente rafale arrache le grand foc ; nous mettons alors à la cape. Toute la journée et la plus grande partie de la nuit suivante, ce n’est qu’une suite de rafales furieuses se précipitant en trombes des collines riveraines de la mer.

Dans la matinée du 6, enfin, le vent tombe, en virant légèrement au sud. Il nous est donc encore contraire, mais en serrant la terre, nous rencontrons des eaux calmes, et, avant l’obscurité, nous réussis-