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j’étais persuadé que nous l’atteindrions ce soir. C’est la seconde grande tempête depuis notre départ du Pôle. Que Dieu nous vienne en aide, sur ce redoutable plateau, avec des approvisionnements aussi réduits !

Jeudi, 25 janvier. — Dieu soit loué ! nous avons trouvé le dépôt du Demi-degré. Restés couchés toute l’après-midi d’hier et toute la nuit. Le vent souffle toujours aussi violent. Halons le traîneau sans le secours de la voile. À 2 h. 30, à notre grande joie, nous apercevons le pavillon rouge du dépôt. Nous quittons cette cache avec neuf jours et demi de vivres. 161 kilom. 6 jusqu’au prochain dépôt.

Toutes les misères qui nous assaillent me font vivement désirer d’arriver à la fin du plateau : Oates a toujours très froid à un pied ; les doigts et le nez d’Evans sont en mauvais état ; et ce soir, Wilson souffre d’une douloureuse ophtalmie. Seuls Bowers et moi n’avons jusqu’à présent éprouvé aucun malaise. Les blizzards sont nos grands ennemis ; non seulement ils nous obligent à nous arrêter, mais encore l’humidité qu’ils apportent nous éprouve beaucoup.

Vendredi, 26 janvier. — Nos anciennes traces restent visibles. Aisément nous arrivons à notre ancien campement du blizzard du 7 janvier ; distance parcourue : 11 kilom. 2. Au delà, les traces sont complètement effacées. Après les avoir cherchées quelque temps, nous marchons, puis déjeunons. Sur ces entrefaites, le ciel se dégage peu à peu, quoique le vent persiste. Devant nous se trouvent deux cairns séparés par un intervalle de 6 kilomètres, nous ne sommes donc guère inquiets.

Samedi, 27 janvier. — Marche à travers la zone des sastrugi ; on eût dit une mer démontée.

Dimanche, 28 janvier. — Nous nous trouvons à 68 kilom. 8 du dépôt, avec six jours de vivres dans le sac, et à une demi-journée de marche du point où le lieutenant Evans nous a quittés. À l’aller nous avions perdu la pipe d’Oates, les moufles en fourrure et les bottes de nuit d’Evans. Les chaussures et les moufles ont été retrouvées ; ce soir nous ramassons la pipe. Notre faim augmente. La ration du déjeuner devient insuffisante. Quoique nous ayons maigri, Evans surtout, aucun de nous ne se sent surmené. Nous n’aurions guère la force nécessaire pour haler de lourdes charges, mais nous pouvons continuer à tirer notre traîneau très léger. Maintenant la conversation roule fréquemment sur la nourriture ; nous serons satisfaits lorsqu’une aussi stricte économie de vivres ne sera plus nécessaire.

Lundi, 29 janvier. — Température au dîner : −31°,6. Notre ancienne piste est heureusement très nette.

LE CAPITAINE OATES.

Mardi, 30 janvier. — Encore une bonne étape : 30 kilom. 4 ! Nous avons dépassé le dernier cairn élevé au sud du dépôt. Devant nous la trace demeure très visible ; le temps est beau ; le vent et la pente favorables ; avec un peu de chance nous devons atteindre demain la cache désirée. Voilà la face de la médaille. Son revers est loin d’être aussi beau : Wilson a le tendon d’une jambe forcé ; toute la journée il a souffert et le soir le membre est enflé. De plus, Evans a deux ongles déchaussés ; ses mains sont en piètre état. Depuis sa coupure à la main notre compagnon a perdu son entrain. Nous pouvons nous tirer d’affaire avec des doigts malades ; mais si la jambe de Wilson ne va pas mieux, cela sera grave.

Mercredi, 31 janvier. — La journée a bien débuté avec une jolie brise. Nous avons atteint le dépôt des Trois degrés et déjeuné une heure plus tard. Pendant l’après-midi, terrain abominable ; avec cela le vent mollit ; ce n’est plus qu’une légère brise du Sud. Une mauvaise chance, ce calme juste au moment où nous ne sommes plus que quatre hommes valides. Wilson s’est reposé dans la mesure du possible en marchant tranquillement à côté du traîneau ; le résultat a été bon ; ce soir l’inflammation de sa jambe a beaucoup diminué. J’espère qu’il sera bientôt complètement remis. Dans notre situation, c’est terrible d’avoir un éclopé !

Jeudi, 1er février. — Température : −28°,7. Presque toute la journée traînage pénible. La jambe de