Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/114

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sont tragiques. Avant-hier, au déjeuner, le malheureux Oates annonce ne pouvoir aller plus loin et nous demande de l’abandonner dans son sac de couchage. Nous nous y refusons et le persuadons de nous suivre. Malgré ses atroces souffrances, il reprend la lutte et parcourt encore quelques kilomètres. Le soir, notre pauvre camarade est au plus mal. L’heure de sa fin est venue.

Je tiens à relater les détails suivants pour le cas où ces notes seraient retrouvées. Les dernières pensées d’Oates ont été pour sa mère ; avant, il avait manifesté sa satisfaction de penser que son régiment serait fier du courage avec lequel il accueillait la mort. Nous pouvons témoigner de sa bravoure. Pendant des semaines, sans jamais une plainte, il a enduré des souffrances atroces et, jusqu’à la toute dernière heure, il se plaisait à discuter les sujets les plus divers. Il n’a pas voulu perdre, il n’a perdu l’espoir qu’au moment suprême. Voici comment il est mort. Avant-hier soir, il s’endormit, espérant ne plus rouvrir les yeux. Le lendemain hélas ! il se réveilla. À ce moment le blizzard soufflait. Il nous dit alors : « Je sors et serai peut-être quelque temps dehors », puis il disparut dans les tourbillons de neige. Nous ne l’avons plus revu…

Je saisis cette occasion pour affirmer que nous sommes restés jusqu’à la fin auprès de nos camarades malades. Au bas du glacier Beardmore, nous étions à bout de vivres et Evans était sans connaissance ; le salut du reste du détachement aurait exigé son abandon. Mais la Providence, dans sa miséricorde, le rappela à elle. Notre compagnon est mort de mort naturelle ; et nous ne l’avons quitté que deux heures après que tout était fini. Sachant que Oates marchait à la mort, nous avons essayé de l’arrêter, mais nous savions que c’était là l’acte d’un homme courageux et d’un gentleman. Tous nous souhaitons de pouvoir accueillir la mort avec un pareil courage ; assurément, elle n’est plus loin.

Je ne puis écrire qu’au déjeuner et encore pas tous les jours. Le froid est intense, −40° à midi. Mes compagnons montrent une énergie indomptable ; toujours nous parlons comme si nous devions atteindre la station, mais dans son for intérieur personne, j’en suis certain, ne le croit.

Même en marche nous avons froid, nous ne nous réchauffons que pendant les repas. Hier le blizzard nous a arrêtés et aujourd’hui nous n’avançons que très lentement. Nous sommes au campement des poneys no 14, seulement à deux étapes de poneys du One Ton Camp. Ici, nous laissons le théodolite, un appareil photographique et le sac de couchage d’Oates. Les carnets de route, etc., et les spécimens de