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l’art gothique. L’admiration va tout autant aux proportions grandioses de l’ensemble qu’aux détails de chacune des scènes, traitées peut-être avec moins de fini qu’à Saint-Gilles mais, à coup sûr, avec une naïveté et une foi religieuse réellement émouvantes.

On pénètre par une grande salle romane, voûtée en berceau, dans le cloître dont les galeries sont d’époques différentes : les styles roman, de transition et gothique y voisinent sans s’y heurter. Les travées et les arcades reposant sur des colonnes jumelles, à fût lisse ou cannelé, ornées de chapiteaux, s’y succèdent dans une belle ordonnance. Aux piliers d’angles, au milieu des galeries, un peu partout, des bas-reliefs et des sculptures d’un remarquable travail représentent des statues de saints : saint Trophime, saint Jean, saint Pierre ; des mystères : la Cène, la Résurrection, l’Ascension ; des scènes tirées de l’Écriture : le baptême du Christ, sa tentation, sa flagellation, les saintes Femmes, le baiser de Judas. La légende y a sa place avec sainte Marthe et la Tarasque. Ici se profile la silhouette élégante d’un puits dont la margelle est faite d’une base antique de colonne en marbre. Le soleil se joue au milieu des arcades formant des oppositions saisissantes de lumière éclatante et d’ombre mystérieuse, d’où surgissent les fines nervures des feuilles d’acanthe, les figures rigides des saints de pierre, les tètes d’hommes et d’animaux.

L’intérieur de Saint-Trophime, peut-être un peu étroit, présente une haute nef centrale voûtée en berceau, des bas-côtés élancés, faiblement éclairés par des fenêtres en plein cintre, un déambulatoire divisé en sept travées dont chacune possède sa chapelle. La décoration sculpturale est sévère. Quelques tableaux intéressants et de magnifiques tapisseries ornent le sanctuaire où l’on remarque trois sarcophages chrétiens en marbre. L’un, qui sert de fonts baptismaux, est l’ancien maître-autel de Saint-Honorat des Aliscamps, orné de sujets tirés de l’Écriture. Le second, actuellement autel de la chapelle de Grignan, figure le passage de la mer Rouge par les Hébreux. Le troisième, dans une chapelle donnant sur le déambulatoire, était le tombeau de Géminus ; il représente le Christ entre deux apôtres, sous des arcades séparées par des colonnes cannelées. De l’ancien trésor dilapidé il reste quelques ivoires, olifant carolingien, crosses et croix épiscopales, et des ornements portés par le bienheureux Louis Allemand, archevêque d’Arles, mort en 1450.

C’est aujourd’hui la cérémonie de la première communion. La foule encombre le parvis de l’église et la place voisine. La réputation des Arlésiennes n’est pas surfaite ; elles ont le type grec dans toute sa pureté, traits réguliers, yeux noirs et vifs, teint mat, taille élancée et souple : « Ô cité douce et brune, ta merveille suprême, le ciel, ô féconde terre d’Arles, donne la beauté pure à tes filles comme les raisins à l’automne, les senteurs aux montagnes et les ailes à l’oiseau. » Mais le costume classique, pourtant si seyant, souffre de la concurrence des modes parisiennes. Parmi les groupes endimanchés, bien rares sont les coiffes au large velours enserrant le haut de la tête, laissant paraître sur le front découvert les bandeaux noirs des cheveux ondulés ; et les chapelles, fichus de gaze entourant la nuque découverte pour descendre jusqu’à la taille d’où retombent les plis droits de la jupe.

ATTELAGES. LES CHEVAUX PORTENT UN HARNACHEMENT COMPLIQUÉ (page 269).

Au milieu de cette foule babillarde que le soleil printanier convie à la promenade, nous errons dans les rues de la ville, entrant à Notre-Dame de la Major, ancien temple de la Bonne Déesse, siège du Concile de 453, dont le clocher domine de sa pyramide les arènes voisines ; à Saint-Jean de Moustier, église romane du xiie siècle ; et nous voici de retour aux Aliscamps où, nous retrouvons la tradition et la légende dont la poésie s’harmonise avec la mélancolie de cette allée funèbre. Saint Trophime avait réuni les évêques, ses compagnons, pour consacrer au vrai Dieu la nécropole païenne. Aucun d’eux ne se trouvant assez pur pour accomplir cet acte, Jésus-Christ apparut et opéra lui-même la consécration.