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AIGUES-MORTES DONT LES FORTIFICATIONS NOUS RAMÈNENT PRÈS DE SEPT SIÈCLES EN ARRIÈRE (page 278).

pensons devoir le faire), cela fait plus de vingt litres par tête. Peut-on vraiment, dans ces conditions, n’être pas un homme de progrès, un ouvrier conscient ?

Éloignons-nous bien vite de ces effluves et de ces cris pour aller respirer, en dehors des murs, l’air pur qui vient de la mer et contempler les vénérables remparts tout blancs dans un ciel d’étoiles. Dans la claire matinée, nouvelle promenade au Grau-du-Roi. C’est à 6 kilomètres au sud, sur le bord de la Méditerranée, un village de pêcheurs et, en même temps, un lieu de villégiature estivale. Rien de Biarritz, de Dinard, ni de Trouville, mais il ne faut pas se montrer exigeant sur cette côte déshéritée. La route longe à droite le canal de la Roubine, où nous passons de longs moments à suivre les phases d’une pêche originale très en faveur ici, nommée poche au globe. On y emploie un immense carrelet ; à l’état de plongée il repose sur le lit du canal qu’il couvre d’un bord à l’autre : la relève se fait au moyen d’un cabestan qui raidit les câbles latéraux fixés à la rive opposée ; dans l’intérieur du filet alors légèrement immergé circule une barque plate et l’épuisette fonctionne avec activité pour retirer les prisonniers frétillants. Si l’on se livre à la pêche à droite de la route, de l’autre côté s’étendent des lagunes qui sont, l’hiver, un véritable paradis pour les chasseurs. Les macreuses abondent sur ces étangs dont la commune, nous dit-on, est propriétaire ; lorsqu’elles sont réunies en nombre suffisant (5 000 ou 6 000 environ), des affiches font connaître qu’une grande chasse aura lieu au jour indiqué ; 100 bateaux sont à la disposition des amateurs au prix de 20 francs pour la journée ; les piétons, moyennant un droit de 2 francs, peuvent tirer sur les bords et ne se gênent guère, paraît-il, pour faire main basse sur les nombreux blessés.

Nous ne quitterons pas Aigues-Mortes sans visiter la très moderne usine que vient d’édifier aux portes de la ville la Société anonyme des Verreries d’Aigues-Mortes et qui fonctionne depuis quelques mois à peine. Le travail mécanique si précis des fours et machines rotatives Owens, nous plonge dans le plus vif étonnement : un four Siemens à quatre brûleurs produit le verre qui passe ensuite dans deux fours Owens à sole tournante et de là dans la machine rotative d’où le verre en fusion ressort automatiquement sous forme de bouteilles. Ces bouteilles tombent alors dans les alvéoles pratiquées dans une table tournante qui présente leurs bagues au rebrûlage ; elles passent ensuite dans des fourneaux à recuire d’un refroidissement progressif et en sortent prêtes à être mises en caisse et expédiées. Ce système de fabrication entièrement automatique supprime absolument la main-d’œuvre ouvrière qui se réduit aux mécaniciens. 12 000 bouteilles ou 16 000 demies ou 20 000 quarts peuvent ainsi être fabriqués en vingt-quatre heures, par chacune des machines rotatives Owens, dont la complication paraît inouïe aux profanes, mais dont la précision est véritablement stupéfiante.

Voilà qui nous éloigne quelque peu des Croisades ; la tour de Constance et la haute cheminée de briques de l’usine ont, en vérité, des silhouettes fort différentes, doublement accusées par leur voisinage. Et maintenant en route pour la Camargue !

D’Aigues-Mortes, une excellente route conduit aux Saintes-Maries en 32 kilomètres. La bicyclette, à moins que le mistral ne fasse des siennes, est certainement le mode de transport le plus agréable dans ces