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simple hypothèse, nous préférerions l’opinion du marquis de Baroncelli-Javon, l’un des Camarguais les plus experts et les plus familiarisés avec les bohémiens qui fréquentent le pèlerinage des Saintes : il y voit une race à part, descendant d’une population primitivement originaire de ce pays de Camargue, chassée au cours des âges par les invasions successives et ramenée par une sorte d’instinct atavique vers son lieu d’origine. Mais ici encore le culte de sainte Sara n’est guère expliqué. Quelque intéressant que soit le problème, laissons-le sans solution et contentons-nous de signaler cette réunion périodique, ces fêtes annuelles qui sont pleines de couleur et de variété.

LABOURAGE EN CAMARGUE (RÉGION DU GRAND RHÔNE).

Lorsque nous arrivons aux Saintes-Maries le soleil est déjà haut, l’atmosphère est déjà bien chaude et la première pensée, faut-il le dire, est pour la salle fraîche de l’hôtel où doit nous attendre le déjeuner réparateur. Il est tout à fait gentil cet hôtel de village, dans une rue solitaire, à deux pas de l’église ; la chère n’est point du tout méprisable, les langoustes sont appétissantes et l’aïoli plein de saveur. Et puis on est si bien, et si au calme, et si à l’aise dans ce bourg perdu de Camargue, après la course du matin ! Réflexion, hélas, de courte durée ; les hors-d’œuvre ne sont pas achevés qu’une trompe d’auto met en rumeur la rue déserte et que six voyageurs grotesquement accoutres débouchent en coup de vent dans la modeste salle, le parler haut, le rire bruyant. Ah ! des Saintes-Maries, de leur pieuse et touchante histoire il n’est guère question à la table envahie, mais des kilomètres abattus le matin, de ceux qu’on abattra le soir, après que l’on aura dégusté le café et les liqueurs et fait, par surcroît, une visite de trois minutes à l’église, si captivante pourtant. Nous avons mieux vu les Saintes ; à l’église et chez le curé l’après-midi fut charmante, et la soirée, sur la plage infinie, devant la mer sans limites où se reflètent les étoiles du firmament, est restée inoubliable.

L’église fortifiée des Saintes est un spécimen unique d’architecture. Elle se compose de trois étages superposés : une crypte qui date du roi René (milieu du xve siècle), l’église proprement dite dans le style roman (xe siècle) et la chapelle haute, établie au-dessus de l’abside et qui renferme les célèbres châsses. En dehors des fêtes où s’y pressent les bohémiens, la crypte n’offre pas d’intérêt bien particulier. L’église, sombre mais dont la sévérité est tempérée par les nombreux ex-voto qui couvrent les murs, a, tout autour de l’abside, une série de huit chapiteaux très curieux ou les emblèmes païens voisinent avec les images du christianisme. Dans l’allée du milieu, qui conduit à la crypte et au maître-autel, se trouve un puits couvert surmonté d’une crosse épiscopale : la source inépuisable, qui dort au fond et à laquelle sont attribuées des propriétés bienfaisantes, fut découverte en 1118 lors des fouilles entreprises pour retrouver les corps des Saintes, elle est là toujours renouvelée depuis lors. Il y a bien d’autres reliques du passé. Que de larmes ont coulé, que de supplications se sont élancées dans ces murs bientôt millénaires ! Quelle impression profonde ne ressent-on pas à la pensée de la misère des foules qui, à tous les âges, est venue chercher consolation sur ces dalles ! Et tous ces ex-voto, plus ou moins riches, quelques-uns très humbles, d’autres très naïfs, dont certains attestent depuis des siècles aux générations successives la gratitude d’une âme qui a vibré il y a bien longtemps, mais qui était tout de même bien semblable à la notre, tous ces ex-voto ne sont-ils pas