Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/301

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faits pour vous émouvoir ? Au-dessus du maître-autel une ouverture dans la voûte, en forme de fenêtre, livre chaque année passage aux châsses, au moment des fêtes de mai. Nous montons à l’église haute par un escalier qui s’ouvre à l’extérieur de l’édifice et, après la visite à la chapelle très simple qui renferme les reliques, nous gagnons le faîte de l’église, qui n’est autre chose, ici, qu’une forteresse assez puissante, avec son chemin de ronde, ses créneaux, ses mâchicoulis et sa tour de vigie. Ce sont les incursions des Sarrasins et des pirates, fréquentes au temps jadis, qui ont rendu nécessaire la militarisation de l’édifice religieux ; à l’appel du veilleur toute la population mâle se rendait à l’église haute pour défendre la ville, tandis que femmes et enfants se réfugiaient sous la protection de leurs saintes dans l’intérieur de l’édifice. Comme à Aigues-Mortes au haut de la tour Constance, nous aimons ici à demeurer sur le clocher des Saintes pour bien nous imprégner du panorama de Camargue : les maisons des Saintes-Maries, timidement groupées autour de leur église, paraissent un point, un tout petit point perdu dans l’immensité ; la mer immédiate, qui semble continuer les étangs presque sans la transition d’un rivage, ferme tout l’horizon de « sa fière poitrine et respire lentement de toutes ses mamelles. » Il n’y a pas une voile dehors, ce soir, dans tout le golfe de Beauduc ; la côte, basse et monotone, s’allonge en une courbe régulière jusqu’aux lointains redoutés de Faraman, où veille un phare parmi le fouillis inextricable des étangs ; puis vers le nord c’est le Vaccarès, véritable mer intérieure, les plaines de Camargue et, par delà le grand Rhône, le rude désert de la Crau.

Il fait nuit maintenant à l’intérieur de l’église ; seules quatre lumières brillent à l’autel de la Vierge. Après des intervalles de silence on entend le murmure de quelques voix chevrotantes, la crosse du puits sacré se dore du furtif éclat d’un cierge et là-bas, sur les marches de l’autel, un vieux prêtre à cheveux de neige parle de paix et de bonheur.

Dans les rues désertes courent des traînées lumineuses au travers des portes closes et des volets à jour ; nous gagnons le rivage de la mer guidés par le sourd murmure du flot. Quel calme infini ! Quelle paix profonde ! Ce soir, comme tous les soirs, la nuit étend ses voiles sur les grandes plaines où les taureaux noirs du Sauvage et les cavales blanches du Sambuc se tiennent immobiles, sur les étangs de Camargue où, parmi les roseaux au long des grèves désertes, dorment, la tête sous l’aile, les cygnes, les flamants aux ailes de feu et les macreuses lustrées. À plusieurs lieues dans l’est Faraman veille, son grand œil rouge dardé dans les ténèbres ; tout près de nous, au pied de mâtures et d’antennes assez étranges, une petite lumière plus discrète veille aussi ; car, venues des pays d’outre-mer, des ondes invisibles traversent l’atmosphère et, la tête encerclée de son masque de fer, un employé du poste de télégraphie sans fil, courbé sur ses appareils, enregistre attentivement les nouvelles venues du Maroc.


(À suivre.) L. et Ch. de Fouchier.


AUX SAINTES-MARIES, CHAQUE ANNÉE DES BOHÉMIENS VIENNENT EN PÈLERINAGE (page 286).