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pête arriver aussi rapidement ; on peut donc être exposé à se perdre, même dans le voisinage de la maison.

Jeudi, 1er juin. — Toute la nuit, ouragan. Pendant quelques rafales, le vent atteint une vitesse de 135 kilomètres à l’heure. La température monte à −11°,6.

Vendredi, 3 juin. — Hier soir, le vent est tombé. Après quelques heures de calme plat, il s’est de nouveau levé tout à coup à une vitesse de 50 kilomètres à l’heure. Presque instantanément — très certainement en moins d’une minute — la température est montée à 5°C. Jamais je n’avais été témoin d’une hausse thermométrique aussi brusque.

Dimanche, 4 juin. — Aujourd’hui Wilson, Bowers, Cherry-Garrard, Lashley et moi, nous nous sommes exercés pour la première fois à construire un « igloo » c’est-à-dire une hutte en neige comme en bâtissent les Esquimaux. Il importe surtout de posséder un bon outil pour découper les blocs de neige. Cherry-Garrard est armé d’un couteau, Wilson d’une scie, et Bowers d’une grande truelle. Aucun de ces divers engins ne donne de bons résultats. Le premier paraît le plus pratique, si on le munit d’un manche assez long. Pendant ce temps, Ponting va photographier les icebergs à la lueur de bombes au magnésium. En passant au Sud de l’île dont la masse me cache le théâtre des opérations de notre artiste, j’aperçois la réverbération des jets de lumière, pareils à des éclairs. Ils illuminent le ciel et probablement aussi le terrain à une grande distance de l’appareil. Ces bombes pourraient donc être employées pour faire des signaux.

Mardi, 6 juin. — C’est aujourd’hui mon anniversaire. J’aurais pu l’oublier, mais mes excellents compagnons s’en sont souvenus. Au déjeuner, un énorme gâteau est servi. Pour la circonstance, Clissold s’est surpassé comme pâtissier et décorateur. Le sommet de la pièce est formé par divers motifs en chocolat et en fruits confits, entremêlés de drapeaux et de photographies du héros de la fête. En revenant de ma promenade habituelle, je m’aperçois que l’on prépare un dîner d’apparat. Le soir, en effet, nous nous asseyons devant une table somptueuse. Une soupe au phoque, un rôti de mouton avec de la gelée de groseilles, et des compotes de fruits, des asperges et du chocolat : tel est le menu. Comme boisson, du cidre, du sherry et des liqueurs.

Après ce plantureux repas, l’entrain est général et toutes les langues sont déliées. Tandis que j’écris mon journal, j’entends un groupe dans la chambre noire s’échauffer sur les avantages de la discussion en matière politique ; un autre expose ses vues sur l’origine de la matière pendant qu’un troisième agite des problèmes militaires. Les bribes de ces conversations qui m’arrivent me font parfois l’effet de coq-à-l’âne. Toutes ces controverses sont bien inutiles, mais elles amusent tant leurs auteurs. Quel accent de triomphe prennent certains orateurs lorsqu’ils s’imaginent avoir lâché une période redondante ou présenté un argument décisif. En réalité, ce sont tous de véritables enfants, mais tous si bons : pas un mot vif, pas une note discordante, aucune de ces joutes oratoires qui ne finisse par un éclat de rire.

Samedi, 10 juin. — Nous avons commencé l’étude détaillée de notre équipement pour l’expédition au Pôle : notamment l’emploi des crampons et d’une tente à double paroi ainsi que les moyens de réparer les mocassins avec de la peau de phoque.

Mardi, 13 juin. — Très belle journée. Magnifique clair de lune, temps très calme ; la température tombe à −32°. Cet après-midi, je vais me promener autour de l’île Inaccessible. Cet éclairage de rêve donne à ces paysages glacés une splendeur idéale. Le ciel étoilé est tout rose, et les icebergs étincellent d’une lumière irréelle, tandis que les rayons polaires vacillent dans l’air, pareils à des lueurs errantes. C’est la plus extraordinaire féerie que l’on puisse imaginer. Observé un météore excessivement brillant traversant le ciel dans la direction du Nord.

Dimanche, 18 juin. — Encore un blizzard !

Lundi, 19 juin. — Voici maintenant le tableau de notre vie. À 7 heures du matin, Clissold se lève pour préparer le déjeuner. Une demi-heure plus tard, Hooper balaye le plancher et met le couvert, puis entre 8 heures et 8 h. 30, on va chercher la provision de glace destinée à être fondue pour les besoins domestiques et on donne à manger aux poneys et aux chiens. Pendant ce temps, Hooper rappelle bruyamment aux dormeurs que l’heure réglementaire du lever va sonner. Encore à moitié assoupis, tous s’étirent et bâillent à se décrocher les mâchoires, en se souhaitant mutuellement le bonjour.

Pour remplacer la douche matinale, Wilson et Bowers se frottent vigoureusement tout le corps avec de la neige. Les autres, moins braves, se contentent des modestes ablutions que permet notre modique ration d’eau. Vers 8 heures et demie, je me lève ; à 8 h. 50, je suis habillé et mon lit est fait ; je m’attable alors devant mon bol de porridge. À 9 h. 20, tout le monde a déjeuné et, dix minutes plus tard, la table est desservie. De 9 h. 30 à 1 h. 30, les hommes travaillent à la mise en état du matériel de l’expédition au Pôle. Déjà les sacs de couchage ont été raccommodés et les tentes modifiées ; mais très nombreux sont encore les effets à confectionner, les sacs à provisions, les couvertures pour les poneys, etc., etc.

Après le petit déjeuner, Hopper donne un second coup de balai et procède à un rangement général. À mon avis, les officiers ne sauraient être chargés de ces besognes domestiques, afin qu’ils puissent donner tout leur temps aux travaux scientifiques.