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vaise. L’avant-garde a chaussé ses skis. Les points de repère faisant complètement défaut, il lui a été très difficile de garder la bonne direction. Pendant une halte pour la construction d’un cairn, soudainement tombe une neige à larges flocons, en même temps la température s’élève. Les patins collent littéralement au sol ; en même temps, le halage devient très laborieux. Quelques minutes plus tard, le vent de Sud se lève, et immédiatement son effet bienfaisant se manifeste. L’avant-garde abandonne alors ses patins ; ensuite plus encore qu’au début de l’étape elle éprouve de la difficulté à tenir la route. C’est seulement quand elle attaque le dernier kilomètre que le ciel s’éclaircit.

Notre marche se poursuit dans des conditions extrêmement pénibles et avec des animaux éreintés. Au moment où j’écris, neige très abondante ; Dieu sait quand elle cessera. La diminution de la provision de fourrage nous oblige à couvrir nos 24 kilomètres quotidiens, quelles que soient les circonstances. Espérerons en des temps meilleurs.

Mardi, 28 novembre. — Aujourd’hui partis à 4 heures du matin ; désormais nous conserverons cette habitude. Un vigoureux effort a été nécessaire pour accomplir ces quatre dernières étapes ; quoiqu’il en soit, pas d’anicroche. Au moment où nous avons campé, la tourmente de neige soufflait. Maintenant le ciel a meilleure apparence, le vent est tombé et le soleil luit gaîment, effaçant en partie les sombres impressions laissées par cette marche épuisante.

Ce soir, Chinaman a été abattu. Cette courageuse petite bête avait tenu bon ; elle quitte ce bas monde quelques jours seulement avant ses autres camarades. Il ne nous reste que quatre balles de fourrage de 13 kilog. 5, juste de quoi nourrir les survivants pendant une semaine ; or, nous sommes à 144 kilomètres environ de la fin de la Barrière.

Les deux poneys Snippers et Nobby suivent maintenant paisiblement les traces laissées par les chevaux qui les précèdent. Tous deux ont toujours leurs yeux rusés fixés sur leurs conducteurs, prêts à s’arrêter si lui-même s’arrête. À chaque instant, ils mangent de la neige. Combien il est agréable de n’avoir pas à mener un poney ! Vous vous trouvez délivré d’une foule de petits tracas, vous n’avez plus à maîtriser ses écarts, à veiller à ce qu’il ne ronge pas sa bride, etc. Chaque cheval a un caractère particulier ; un jour j’écrirai une étude sur la psychologie et l’individualité de ces animaux.

Le baromètre a été extraordinairement bas pendant les deux dernières tourmentes. Le coup de vent essuyé aujourd’hui a été le plus inattendu et le plus pénible des blizzards d’été que nous ayons subis dans cette région. J’espère qu’il est fini.

Mercredi, 29 novembre. — 82° 21′ de latitude. Les choses vont mieux. Aperçu la terre, hier, dans la soirée ; d’abord le mont Markham, magnifique crête hérissée de trois pics et qui semble étonnamment près, puis le cap Lyttleton et le cap Goldie.

Le terme du voyage que doit effectuer la cavalerie se trouve à moins de 112 kilomètres. Les bêtes sont fatiguées ; toutes cependant pourront encore fournir cinq jours de travail ; plusieurs même bien davantage. Chinaman a procuré quatre bons repas aux chiens ; à n’en pas douter, chacun des autres poneys produira pareille quantité de viande. Grâce à cette copieuse nourriture les chiens seront capables d’effectuer le retour. Avec leur aide seule, et sans grande perte de temps, il serait possible de poursuivre notre route ; mais il est préférable de retarder, autant que faire se peut, le moment où les hommes devront haler les traîneaux. J’espère donc du fond du cœur que nous pourrons couvrir avec nos moyens d’action complets les 112 kilomètres que nous avons encore à parcourir sur la Barrière.

UNE ESCOUADE MONTÉE SUR SES SKIS HALANT UN TRAÎNEAU.

Mardi, 30 novembre. — Temps très agréable pour la marche, mais étape très fatigante pour nos pauvres poneys, qui enfoncent jusqu’aux genoux ; à la fin de l’étape seulement quelques plaques un peu fermes. Malgré le soleil, il n’y a pas eu trop de « glissade » sur la neige. Par contre, les chiens ont fort bien marché, sans aucun doute, ils rendront de grands services.