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Masquée tout d’abord par une fine brume blanche, la terre devient visible une fois le camp dressé. J’en prends quelques photographies.

Vendredi, 1er décembre. — Vingt-septième campement, 82°47′ de latitude. Les poneys se fatiguent vite. Sauf Nobby, ils ont leurs jours comptés. Contrairement à l’avis de plusieurs de mes camarades, j’ai décidé ce soir le sacrifice de Christophe. Les ennuis qu’il nous a causés au départ et la manière peu satisfaisante dont il s’est comporté à la fin adoucissent nos regrets.

Nous laissons ici un dépôt. Encore trois étapes et nous en aurons fini avec la Barrière. Les sept poneys survivants et les attelages de chiens nous permettront d’en sortir. Il importe que les hommes n’aient pas à haler de trop lourdes charges sur ce terrain fort pénible.

Ce matin Nobby a essayé les raquettes. Ainsi chaussé, il a admirablement marché pendant 6 kilom. 4 environ. Ces engins s’étant ensuite déformés, il fallut les lui ôter. Les raquettes sont susceptibles de rendre de grands services. Si les poneys en avaient été munis dès le début, ils ne seraient pas aussi faibles aujourd’hui. Peut-être la vue de la terre donne-t-elle un peu de courage à nos animaux.

Au départ, un beau soleil tiède. Sur la droite, les montagnes se montrent remarquablement distinctes. Un beau glacier descend du mont Longstaff dans une vallée profondément encaissée. Les avant-monts sont découpés de nombreux ravins ; par contraire, les reliefs plus élevés semblent peu disséqués et présentent une prédominance de sommets arrondis. En face de nous se découvre un escarpement jaune foncé, flanqué de roches noires.

Samedi, 2 décembre. — La disette de fourrage nous oblige à abattre notre cavalerie, mais nous sommes au 83° de latitude, presque certains d’arriver au but. Ce soir, éclaircie ; les choses prennent meilleure tournure. Combien difficile aurait été cette marche sur une éternelle étendue blanche, si une escouade n’avait précédé la caravane pour indiquer la route.

Les chiens vont à merveille ; à partir de demain, ils recevront une charge plus lourde. Si nous couvrons la prochaine étape, nous tuerons un nouveau poney à l’arrivée au bivouac ; nous ne posséderons plus alors que trois jours de vivres pour les cinq survivants. Tout s’annonce bien, si seulement le temps nous permet de découvrir le passage conduisant au glacier Beardmore. Dans son journal de route, Wild, un des compagnons de Shackleton, signale le 15 décembre comme leur premier jour de mauvais temps depuis un mois. Pour nous, au contraire, jusqu’ici un ciel serein a été l’exception. Néanmoins, pas un jour nous ne nous sommes arrêtés. Au moment où le camp est installé, la température est si élevée que la neige fond en tombant, tout par suite est trempé. Hier, Oates a pris dans ma tente la place de Cherry-Garrard.

Nous nous sommes mis au régime de la viande de cheval ; l’ordinaire est si copieux que personne ne se plaint de la faim.

Dimanche, 3 décembre. — Temps épouvantable jusqu’à midi. Puis les nuages se déchirent : la terre apparaît. À 1 h. 30, beau soleil, et à 2 heures en route. De tous côtés des montagnes en vue : sauf quelques nuages dans le Sud-Est, les apparences sont bonnes. Un quart d’heure après le départ, ces nuages grandissent ; à 2 h. 30, ils masquent la terre ; une demi-heure plus tard, ils sont sur nous. Le soleil s’éteint alors dans une neige épaisse ; et la marche devient littéralement épuisante. Extraordinairement rapide a été ce changement de temps. Malgré tout, nous avons abattu 18 kilom. 4. À 7 heures du soir, campé après une marche atroce. Nous en sommes à notre vingt-huitième campement.

Lundi, 4 décembre. — Encore un blizzard, celui-ci très violent ; on dirait un poudroiement de farine, tellement intense est déjà le chasse-neige. Nous élevons de nouveaux murs pour abriter les poneys, un travail fastidieux, mais combien utile au bien-être de la cavalerie. Les animaux semblent à moitié endormis, et n’ont pas froid du tout.

La nuit dernière, les chiens nous ont rejoints et, ce matin, le détachement d’Evans. Nous sommes donc tous réunis. Le lieutenant Evans a éprouvé de grandes difficultés à retrouver nos traces ; sans elles, il n’aurait pas réussi à nous rallier, assure-t-il.

Impossible, par pareil temps, de pousser en avant, impossible également d’expliquer cette tempête. La nuit dernière, le baromètre a éprouvé une hausse considérable, s’élevant de 721,3 à 734,5, mm. Évidemment les conditions atmosphériques habituelles se trouvent bouleversées. Point d’autre ressource que d’attendre une embellie et de garder bon espoir, mais je ne puis me défendre d’un sentiment d’amertume en pensant au temps magnifique qui a favorisé nos prédécesseurs.

Devant nous s’élèvent le mont Hope, arrondi par le passage de la glace et couvert d’éboulis, puis le col conduisant au glacier Beardmore. Nous l’atteindrons assez facilement demain, si le temps nous permet d’accomplir 19 kilomètres. Évidemment l’été est mauvais, et cette pensée est quelque peu décourageante. Enfin, à chaque jour suffit sa peine. Nous avons presque accompli la première partie du voyage.

Les poneys ont été extraordinaires, traversant sans broncher la neige paisse qui remplit les dépressions. Ils sont en bien meilleur état que ne l’étaient ceux de Shackleton. Si notre provision de fourrage n’était épuisée, ils pourraient certainement couvrir encore bien des kilomètres. Les chiens sont tout simple-