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Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/78

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ment admirables ; ils sont arrivés affamés. Aussi a-t-il fallu abattre le pauvre petit Michael ; comme les autres, ce cheval était très gras. Toutes les escouades consomment de la viande de poney et s’en félicitent grandement. Durant ces deux jours, nous n’avons perdu que 8 à 10 kilomètres sur les prévisions du programme. Toutefois le détraquement du temps m’inquiète pour le moment où nous serons sur le glacier ; là, plus que partout ailleurs, nous aurons besoin d’un ciel clair.

Du dernier campement, nous avons constaté que dans le Sud-Sud-Est la Barrière s’étend jusqu’à une très haute latitude. Si Amundsen suit cette route et rencontre des circonstances favorables, la distance qu’il aura à parcourir sur le plateau se trouvera peut-être réduite de 160 kilomètres environ. L’an prochain, lorsque nous aurons reçu un nouveau train d’équipages, il sera tentant d’entreprendre quelque chose dans cette direction.

LE LIEUTENANT EVANS.

Mardi, 5 décembre. — Toute la journée tempête ; avec cela, la plus abondante chute de neige que j’aie jamais observée. Les amas entassés par le vent contre les tentes sont énormes.

Dans la matinée, température : 2°,7 sous zéro ; dans l’après-midi −0°,5. La neige fond en tombant sur les toiles, sur les traîneaux et sur les vêtements. Les tentes sont traversées de suintements d’eau. De petites cascades descendent le long de leurs piquets et les toiles qui recouvrent le sol, transpercées, mouillent les sacs de couchage ; bref, tout est trempé. Si un coup de froid survient avant que nous ayons eu le temps de faire sécher le matériel, la situation sera agréable !

Que peut-il bien se passer sur la terre pour qu’à cette époque de l’année survienne un bouleversement pareil ? La mauvaise chance nous a poursuivis jusqu’ici, mais la fortune peut encore nous sourire. On ne pourrait pas marcher aujourd’hui le vent dans le dos ; en tout cas il serait sûrement impossible d’avancer en faisant front à une telle tourmente. Quelque perturbation profonde rend-elle dans cette région l’été actuel particulièrement tempétueux, ou bien sommes-nous simplement victimes de conditions locales exceptionnelles ? La seconde hypothèse suggère des réflexions. Ainsi, nous lutterions contre des circonstances adverses, tandis que d’autres avanceraient comme en se jouant sous un soleil magnifique. Combien grande est la part du hasard dans une expédition ! Ni la prévoyance la plus attentive, ni l’expérience la plus sûre n’auraient pu admettre de pareilles éventualités et suggérer des mesures utiles.

Mercredi, 6 décembre. — L’ouragan continue à faire rage. Nous campons dans le « Bourbier du Désespoir ». La température s’élève à +0°,5 ; dans la tente, tout est mouillé. Après un tour au dehors, on est trempé, comme si on avait reçu une grosse averse, et, quand on rentre, des filets d’eau coulent de vos vêtements. Autour des murs des poneys, des tentes et des traîneaux, les amas de neige s’élèvent de plus en plus. Bien triste la mine de nos pauvres chevaux ! Non, véritablement, c’est décourageant, et dire que nous sommes à 18 kilomètres seulement, du glacier Beardmore ! La désespérance vous envahit, il est difficile de la combattre. En de telles circonstances, quelle dose de patience il faut posséder !

Jeudi, 7 décembre. — Toujours la tempête ! Cela devient inquiétant. Ce soir, il ne restera plus pour les