Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poneys qu’une petite ration ; demain il faudra donc ou poursuivre la marche, ou sacrifier les animaux. La situation pourrait être encore plus mauvaise, car, en fin de compte, avec l’aide des chiens il sera possible de nous tirer d’affaire. Le plus grave, c’est que ce matin nous avons entamé les vivres destinés à la consommation sur le glacier, c’est-à-dire ceux qui ne devraient être attaqués qu’après l’installation du dépôt au pied du Beardmore. Par suite la première escouade ne nous accompagnera qu’une quinzaine à dater d’aujourd’hui.

Minuit. — La tempête ne paraît pas mollir. Les prodromes d’embellie observés la nuit dernière ont disparu vers 3 heures du matin ; à ce moment, le vent a augmenté et la température montait de nouveau. Bientôt après l’ouragan avait repris toute sa force. Pas le moindre indice permettant de prévoir la fin prochaine de cette effroyable tourmente, et impossibilité absolue de bouger. Il faut se résigner à la mauvaise fortune ; mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Une telle adversité est imméritée, quand le programme a été établi avec tant de soin et qu’un premier succès semblait imminent. Si le plan de voyage était à refaire, je ne vois point quelle modification il devrait subir. La marge laissée pour le mauvais temps, calculée d’après l’expérience de toutes les expéditions antérieures, était suffisamment large ; au mois de décembre, habituellement le plus beau de l’été antarctique, nul n’eût pu prévoir une pareille succession de tempêtes. Combien il est pénible de demeurer dans son sac de couchage trempé, en proie au découragement, tandis que cela va de mal en pis, sans le moindre espoir d’une amélioration. (Température : 0°.)

Meares souffrait depuis longtemps d’une violente attaque d’ophtalmie à l’œil ; ce repos forcé le soulagera. Naturellement personne n’est gai ; vienne une occasion, la belle humeur renaîtra aussitôt. La nuit dernière, alors qu’une passagère lueur d’espoir a brillé, des rires se sont fait entendre.

Exaspérante, cette situation ! Être contraint à l’inaction lorsque chaque jour et même chaque heure perdue diminuent les chances de succès ! Et combien décourageant, le spectacle des choses environnantes ! Les tentes toutes moirées de gouttelettes, leurs montants reluisants d’eau ; au milieu de nos abris, suspendues au plafond, des chaussettes crottées et ruisselantes ; partout une humidité pénétrante ; puis c’est l’éternel tambourinement de la neige et l’incessant claquement des toiles agitées, et, au dehors, un mur blanc qui semble vouloir vous étouffer. En même temps, la pensée d’un échec possible nous torture. Baste ! après tout, continuons la lutte et, dans les difficultés qui surgissent, puisons un stimulant à notre courage.

Vendredi, 8 décembre. — Toujours la même neige lugubre et le même vent endiablé. À 10 heures, déjeuné ; deux heures plus tard la brise est tombée. Aussitôt nous travaillons, à dégager les traîneaux, une rude tâche ! Ensuite changé de place les tentes. Sous le poids des monceaux de neige accumulés sur les bords, nos abris se sont recroquevillés. Leurs anciens emplacements forment à présent des fosses profondes dont la dépression centrale est remplie de neige fondante. Ce changement de place nous procure un bien-être relatif, surtout maintenant que le vent a molli.

Vers 4 heures, quelques éclaircies, un pâle soleil luit et des morceaux de montagnes embrumées apparaissent. La tempête est devenue une agréable brise ; l’espoir commence à luire. Hélas ! encore une fois le soleil disparaît et la neige tombe. La situation paraît désespérée. Cet après-midi l’équipe du lieutenant Evans a fait un essai de traînage. Un véhicule a pu être mis en mouvement par quatre hommes munis de skis. Sans les patins ils auraient enfoncé jusqu’aux genoux ! La neige est terriblement profonde. Nous faisons une tentative pour faire marcher Nobby ; la pauvre bête barbote jusqu’au ventre.

LUGUBRE, L’ASPECT DE CETTE GRANDE PLAINE DE NEIGE (page 61).

Wilson pense que les poneys sont à bout, au contraire, de l’avis d’Oates. Malgré l’état déplorable de la piste, ils pourront encore fournir une étape dans le cas où nous pourrons nous remettre en route demain. Sinon, il faudra les abattre et continuer, en halant les traîneaux avec des équipes d’hommes chaussés de skis et au moyen des chiens. Sur un pareil terrain, que pourront faire ces animaux ? Je redoute qu’eux aussi soient impuissants. Oh ! un peu de beau temps, ne fût-ce que jusqu’au glacier !