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le traîneau qu’au prix des plus grands efforts. Les autres escouades ont peine également, mais moins que nous. Campé à 7 heures. Demain, nous partirons de bon matin et tâcherons d’obtenir un meilleur résultat. Aujourd’hui nous avons couvert de 13 à 14 km. 5. Sur un pareil terrain, les compteurs de traîneaux ne donnent aucune indication.

Ce que je craignais s’est produit. Toute la vallée inférieure du glacier est remplie de neige apportée par le dernier blizzard. Sans skis, nous demeurerions irrémédiablement enlizés. À pied, on enfonce jusqu’aux genoux, plus profondément encore si l’on tire un traîneau. Seuls, les skis nous permettent d’avancer et de haler nos charges.

Pendant l’après-midi, gouverné sur la chaîne du Commonwealth jusqu’à ce que nous soyons arrivés à peu près au milieu du glacier. À mon avis, le Beardmore n’est pas aussi large que le représente Shackleton et, à coup sûr, pas à beaucoup près aussi grandiose que le Ferrar.

Aujourd’hui, l’escouade du lieutenant Evans s’est bien comportée.

Mercredi, 13 décembre. — Étape horrible, l’abomination de la désolation ! Traînage terriblement pénible. Par endroits, une couche verglassée récemment formée, trop faible pour supporter les skis et n’offrant aucun point d’appui. Par suite, lorqu’en tirant leurs charges les hommes posent les pieds sur ces plaques, ils glissent en arrière. En même temps les traîneaux plongent dans de la neige molle et demeurent embourbés. Nous sommes trempés de sueur et à bout de souffle. À tout moment un des patins du traîneau porte sur une neige plus dure que celle sur laquelle repose l’autre partie du véhicule, d’où capotage et impossibilité de le mouvoir. Au sommet de la pente, je trouve Evans réduit à adopter le système de relais ; peu après, Bowers suit son exemple. Mon escouade réussit cependant à haler son traîneau avec sa charge complète, mais pour arriver à ce résultat combien fréquentes sont les haltes et quels coups de collier nous donnons ! Les autre équipes devront semble-t-il être allégées ; nous devrons modifier notre ordre de marche ; en tout cas, demain nous essaierons encore.

Jeudi, 14 décembre. — Une indigestion et l’humidité de mes vêtements me tiennent éveillé une partie de la nuit. L’exercice excessif auquel nous sommes soumis donne des crampes douloureuses ; avec cela, les lèvres sont sèches et gercées. Par contre nos yeux vont mieux. Nous plions bagage sans grand espoir de trouver un meilleur terrain.

L’escouade d’Evans se met la première en route ; après un halage pénible pendant une heure, elle réussit ensuite, à ma grande surprise, à progresser facilement. Bowers la suit avec plus de peine. Le départ est laborieux, mais après les 200 mètres franchis, mon équipe avance avec aisance ; de suite j’ai l’impression que tout ira bien. Bientôt en effet nous rattrapons les autres. Nous offrons à Evans de prendre une partie de son chargement, mais il refuse tout secours.

L’étape d’aujourd’hui doit s’élever à 17,5 ou 19 kilomètres. Pendant la marche nous avons eu très chaud, et avons dû enlever les jerseys. Maintenant nous sommes transis, mais nous en avons fini avec cette maudite neige molle et avons couvert une bonne distance ; ce résultat compense les petits désagréments causés par la température.

Vendredi, 15 décembre. — La piste devient meilleure et la couche de neige au-dessus de la glace bleue moins épaisse. En revanche, ciel sombre et bas.

L’escouade d’Evans est décidément la plus lente et celle de Bowers guère plus rapide ; nous les distançons sans difficulté. Quel soulagement de pouvoir avancer à une allure régulière ! Hier et ce matin lorsque le traîneau s’arrêtait, nous éprouvions encore des difficultés à le déhaler. Cet après-midi, pour la première fois, nous pouvons remettre en route, simplement en tirant tous ensemble en mesure, et pour la première fois il nous est loisible de nous arrêter à notre volonté. C’est un second adoucissement à nos peines, et il est particulièrement agréable.

Après le souper, quoique le ciel semble se dégager, son apparence demeure mauvaise. La brume est arrivée du Sud-Est ; ce sont les mêmes symptômes que ceux qui ont précédé le blizzard du 6 décembre. Plaise à Dieu que nous ne trouvions pas de neige molle dans la région du glacier que nous allons attaquer !

La partie inférieure du Beardmore n’est pas très intéressante, sauf au point de vue glaciaire. Le mont Kyffen excepté, peu d’affleurements rocheux ; à distance, il est impossible de reconnaître la roche constituant ce piton. Point non plus de moraines superficielles. Les glaciers tributaires, fort beaux, se sont creusé de profondes vallées, sans, toutefois, avoir pu faire disparaître les gradins de confluence. Les penchants de la vallée sont très abrupts ; par endroit, leur pente semble atteindre 60°. Le versant Nord est pour ainsi dire couvert de cascade de séracs, tandis que celui tourné au Sud est presque dépouillé de glace, évidemment par suite de son exposition au soleil.

Samedi, 16 décembre. — Halage très pénible en raison de la chute de neige d’hier. Dans l’après-midi, nous conservons les patins pendant deux heures, jusqu’à une zone de sastrugi particulièrement difficile. Les fréquents arrêts des traîneaux sur cette surface accidentée nous décident à abandonner les skis, dès lors nous avançons plus rapidement, mais ce résultat n’est obtenu tout d’abord qu’au prix d’un labeur excessif.