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pour ses hôtes anglais des lits mieux abrités, sous le toit de maisons solides.

Avant de gagner notre couche, il faut visiter, nous dit-on, la ville indigène. C’est un assemblage de constructions fort éphémères, mais très-fréquentées et pleines d’animation, de bruit et de musique. Plusieurs cafés, c’est-à-dire plusieurs tentes où nous voyons des tables, sont hantés comme à Paris, par une foule de consommateurs qui viennent entendre les chansons familières à leurs oreilles européennes. Le violon est criard, la voix enrouée, mais n’importe ! La musique est française ou italienne, et les courageux ouvriers qui bravent depuis plusieurs années les ardeurs dévorantes du soleil d’Égypte, ces caractères énergiques et résolus qui se sont exilés volontairement pour exécuter, au milieu du désert, la grande œuvre du percement de l’isthme, sont heureux, le soir venu, d’entendre comme un écho de la patrie qui leur parvient par l’intermédiaire de quelque pauvre ménétrier.

La soirée se termine souvent par une danse d’almées. Tirons le rideau sur ce tableau quoiqu’il n’ait rien de choquant, surtout quand on le compare aux danses de nos grands théâtres. Les danseuses égyptiennes sont beaucoup plus vêtues que nos nymphes de l’Opéra. Mais leur danse, qui n’est pas réglée par un maître de ballet, est généralement sans grâce et sans esprit. Rien de pire qu’une danse bête.

Nous avions à faire le lendemain une assez longue étape, et le départ était fixé à huit heures du matin. Je me levai dès six heures. Mon premier soin fut de monter sur les dunes qui forment une enceinte circulaire autour du lac Timsah, et d’où le regard embrasse à la fois la ville naissante, le lac et le désert à l’horizon.

Kantara. — Pont sur la route de Syrie.

La ville se développe en ligne droite sur la rive orientale du lac. Elle comprend des constructions pour loger les ingénieurs, les chefs de services et les ouvriers Tout le personnel de la Compagnie y trouve en ce moment sa place. Ainsi établie au centre des travaux, l’administration rayonnera facilement jusqu’aux extrémités et fera sentir son action immédiate sur tous les points de la ligne.

Décrirai-je ce vaste amphithéâtre dont la scène présente une belle et vaste nappe d’eau sur laquelle je vois déjà flotter une voile latine et qui s’alimente en temps de crue du Nil par des infiltrations souterraines ? Aujourd’hui le canal maritime y verse les eaux de la Méditerranée, et l’imagination, sans grand effort, place sur ses bords les docks, les bassins, les ateliers de réparation ; elle y réunit une flotte tout entière de bâtiments. Les uns se préparent à suivre la remorque qui doit les conduire soit dans la Méditerranée soit dans la mer Rouge ; d’autres entrent dans les bassins pour réparer des avaries. Ceux-ci renouvellent leurs vivres ; ceux-là font provision d’eau douce. Les quais sont fréquentés par une nombreuse population. Les Arabes offrent leurs denrées ; les équipages parcourent la ville ; les ouvriers se pressent dans l’arsenal.

Déjà ce mouvement est commencé. Le lac a ses embarcations ; la ville ses marchés, ses visiteurs et ses ouvriers. Hier c’était une solitude, une plaine de sable, entourant d’une fauve ceinture un marécage à demi desséché où croissaient des joncs maladifs. Aujourd’hui c’est une Memphis naissante qui compte, pour assurer sa prospérité, sur le commerce et la navigation du monde entier.

Quel est ce mouvement qu’on aperçoit de la hauteur où j’ai placé mon observatoire ? C’est la caravane qui