Page:Le Tour du monde - 08.djvu/399

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gagner le lac, de m’entendre avec Wilson, un Anglais qui s’est fixé là-bas, et d’y tuer le temps jusqu’à ce que l’occasion se présentât de me rendre à la baie de Walvish. Je ruminais tout cela, en mangeant avec appétit un morceau de langue de buffle, quand je vis arriver un homme qui avait les pieds déchirés et qui n’en pouvait. plus. C’était mon pauvre Inyous ! Je me levai d’un bond et l’aurais volontiers embrassé. Après m’avoir quitté, lui et Matakit avaient marché toute la nuit, plus par instinct qu’autrement, puisqu’ils ne voyaient pas ; ils avaient rejoint les fugitifs, les avaient décidés à revenir, et ils arrivaient tous avec les chevaux, qui ressemblaient à des lévriers. Je leur demandai les motifs de leur conduite ; ils me répondirent qu’en prenant les chevaux ils s’étaient payés eux-mêmes, puisque je leur refusais leurs gages ; que s’ils étaient partis, c’était à cause de ma vivacité ; que je leur avais parlé anglais, dont ils n’entendaient pas un mot et qu’ils avaient cru que Je leur disais des injures. C’était, je crois, la faute du vieux chariot, qui, tout disloqué, avait failli tomber en pièces.

Bref, le dernier verre de grog fut avalé, et maître et serviteurs promirent de faire tous leurs efforts pour vivre en bonne intelligence.

27 mai. — Nous avons eu le malheur d’écraser Lou, un jeune chien qui promettait énormément ; il est resté sur la place ; et deux autres, Bull et Falk, ont été grièvement blessés hier par un oryx. Je montais Broon ; la plaine s’étendait à perte de vue, nous la traversions aux grandes allures, distançant tous les chiens, qui cependant avaient faim, étaient reposés, et qui d’abord nous précédaient. Broon, en cette circonstance, prouva qu’il était franc et n’avait pas moins de vitesse que de fond. L’oryx était devant nous à mille yards ; il piquait droit dans le vent, rasant le sol, rapide et nerveux, superbe de formes. Quand il sentit que nous approchions, il se retourna, nous fit tête, bondit et pirouetta d’un côté à l’autre avec une rapidité surprenante ; mais Broon était partout ; il suivait tous ses mouvements, on eût dit un limier de race. Je tirai sans mettre pied à terre ; l’oryx fut blessé. Étant dans une position difficile, je ne lui donnai pas le coup de grâce ; les chiens arrivèrent ; la bête aux abois transperça le pauvre Bull, atteignit Falk au-dessus de l’œil, et les laissa tous deux sur le terrain.

Nous avons marché toute la matinée dans un sable profond, couvert d’acacias dont les bœufs n’affrontent les épines qu’à leur corps défendant. Nous allons au lac Ngami ; une boussole de poche et un télescope me seraient bien nécessaires ; j’avais ce dernier instrument ; je ne l’ai pas pris cette fois, et je le regrette.

Auguste, l’un de mes Cafres, a blessé hier une femelle de buffle, qui, accompagnée d’une génisse de belle taille, l’a chargé vigoureusement. Il a escaladé un arbre peu élevé, dont les épines lui ont labouré les jambes ; tandis que la génisse et la mère lui léchaient la plante des pieds, il a rechargé son fusil, et les a tuées toutes les deux. Heureusement qu’il avait jeté son arme dans les branches avant d’y sauter lui-même, sans quoi l’ennemi aurait pu l’y retenir pendant deux jours et plus. Il est très-fier de son exploit.

Il escalada un arbre.

29 mai. — Campés au bord de la Zouga, non loin d’un endroit ou les éléphants sont venus boire cette nuit même.

Nous avons rencontré hier la fille de Séchélé, qu’avait épousée Wilson, le marchand anglais qui s’est fixé au bord du lac ; elle retourne chez son père avec son enfant, un petit mulâtre de quelques mois. Est-ce Wilson qui l’a renvoyée ? est-ce elle qui est partie, je n’en sais rien. Pauvre créature ! C’est une fort belle fille. Comment franchira-t-elle le désert ? elle m’a fait vraiment pitié ; je lui ai donné de la farine, du thé, du sel. Non pas qu’elle soit toute seule ; un corps nombreux l’accompagne ; des Baquouains, sujets de son père. Elle est suivie d’un très-grand nombre de vaches, de moutons, de bœufs et de chèvres, mais le voyage n’en sera pas moins pénible. C’est une malheureuse affaire : il est certain que la réputation des Anglais en souffrira, et, probablement Séchélé nous défendra son territoire, qui est la clef des provinces de l’intérieur.

6 juin. — Mardi matin, nous découvrîmes au bord de la rivière, dans un fourré d’attends-un-peu, une troupe de onze ou douze éléphants mâles qui partirent à notre approche, écrasant tout sous leurs pas. Je les suivis à la hâte en poussant des cris vigoureux, séparai le plus gros de la bande et le serrai de près, grâce au sentier qu’il voulait bien m’ouvrir. Il se retourna pour voir qui avait l’audace de lui marcher sur les talons, car les naseaux de Broon lui touchaient la culotte. Je lui