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En approchant des montagnes qu’on voit déjà se dessiner à l’horizon, la route devient de plus en plus aride et pierreuse.

Une demi-heure avant d’arriver à Nan-kao, les voyageurs furent assaillis par des coups de vent et une pluie glaciale d’autant plus incommodes que la route, encombrée de pierres roulées par les torrents, est presque impraticable.

Nan-kao, où on arriva à quatre heures de l’après midi, est située au pied des montagnes, au milieu d’un terrain excessivement tourmenté : c’est un amoncellement de pierres d’obsidienne et de talc, violettes, vertes, oranges, formant un effet extraordinaire ; çà et là quelques touffes de houx et de genévrier percent seules au milieu des rochers.

La ville, peu peuplée et très-pauvre, se compose d’une rue principale, entourée de maisons éparses ; la campagne, d’une aridité extrême, n’est pas cultivée.

Les habitants de Nan-kao ne subsistent que du trafic qu’ils peuvent faire avec les voyageurs venant du Nord qui s’y arrêtent généralement au sortir des défilés de la montagne.

On n’y trouve que très-peu de ressources et de misérables auberges ; cependant, les voyageurs y passèrent une nuit tranquille.

Le lendemain 19 mai, à sept heures et demie du matin, on s’engagea dans les montagnes, par une gorge naturelle qui est un lit de torrent à sec rempli de rochers.

À première vue il semble impossible qu’on puisse passer au milieu de ce chaos naturel, portant partout l’empreinte du feu volcanique qui souleva cette région dans les premiers âges du monde.

On y remarque les débris d’une ancienne chaussée-vallée, qui a été détruite sous la dynastie des Mings pour rendre plus difficile aux cavaliers nomades du désert mongols et mandchou le passage du défilé.

La nature avait merveilleusement disposé ces gorges pour servir de défense aux grandes plaines du nord de la Chine.

Mme de Bourboulon était en litière ; mais, malgré la sûreté du pied des mules qui la portaient, elle avait à subir d’affreux cahots.

Dans un des passages les plus étroits, où on rencontra une charrette chinoise qui barrait le chemin, elle mit heureusement pied à terre, car une des mules cassa un brancard de la litière et s’emporta.

Elle dut continuer la route à cheval.

À mesure qu’on s’élevait dans la montagne, le vent du nord soufflait avec violence, balayant devant lui des tourbillons de poussière d’un sable fin apporté du désert.

Le défilé se rétrécissait de plus en plus : dans une gorge étroite, bordée de chaque côté de rochers énormes et à pic, le typhon s’engouffrant avec une impétuosité irrésistible, tout le monde descendit de cheval, et il fallut pousser en avant et à force de bras les animaux qui ne voulaient plus avancer.

On était aveuglé par la poussière et on marchait à l’aventure, au risque de se jeter dans les précipices.

Enfin la gorge s’élargit, et on arriva sans accident à la station de Sin-young-couan, située au milieu des montagnes.

C’est un village composé de quelques maisons, avec un peu de végétation, des grands arbres et de l’eau.

On y déjeuna et on s’y reposa dans une petite auberge très-propre, avec une jolie cour plantée d’arbres verts.

Les hauteurs qui dominent Sin-young-couan présentent un phénomène digne d’admiration : la montagne est percée d’une série de portails naturels avec des voûtes, des arceaux et des colonnades, imitant, à s’y méprendre, l’architecture d’un palais de géants.

On ne peut attribuer qu’à un caprice de la nature cette œuvre grandiose, car aucune main humaine n’aurait pu travailler le granit indestructible de ces masses primitives.

À partir de Sin-young-couan, le défilé s’élève sensiblement, et on arrive au point culminant de la montagne par une chaussée presque à pic formée de dalles de blocs granitiques taillés dans le roc vif.

Cette partie de la route, qui paraît plus moderne que celle qu’on avait traversée avant Sin-young-couan, est moins mauvaise et moins encombrée de rochers.

Sur cette crête est une porte fortifiée défendant le passage, et reliée des deux côtés par une muraille de six mètres de haut qui couronne les hauteurs ; deux autres remparts rejoignent celui-ci et commandent tous les points culminants du défilé.

Ces murailles sont en pierres brutes, crénelées et percées de meurtrières ; de distance en distance des tours carrées, dont la plupart sont en ruine, s’élèvent au-dessus des remparts.

C’étaient, avant l’invasion des Maudchoux, des postes militaires se reliant les uns aux autres et surveillant tous les passages.

Ce système de fortifications qui commence au sortir de Nan-kao, se continue jusqu’aux aborda de la grande muraille, dont les remparts et les tours du défilé de Tcha-tao ne sont qu’une ramification.

Toutes ces constructions, maintenant en ruine et abandonnées, étaient regardées par les empereurs des dynasties chanoines comme la meilleure barrière à opposer aux invasions des Barbares.

Cependant, au treizième siècle, elles avaient laissé passer les Mongols sous la conduite des fils de Gengis-Khan ; elles ne protégèrent pas mieux, au dix-huitième siècle, les empereurs Mings contre l’invasion des Mandchoux, et les soldats du génie, qui accompagnaient le ministre de France, s’amusèrent à escalader ces vieux remparts, prouvant ainsi qu’ils ne défendraient pas non plus la Chine contre les Russes s’ils venaient l’attaquer par le nord.

Près de la porte du défilé, qui est ornée de statues de lions ailés, quelques-uns des voyageurs purent monter, par un escalier formé de fragments de rochers énormes, jusqu’à la cime de la montagne. De ce point, la vue est magnifique ; elle plane de cinq cents mètres de haut sur