Page:Le Tour du monde - 10.djvu/314

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passé ; il y a beaucoup de robes et de bonnets de pauvres mongols dépouillés sans doute par le fisc chinois.

« Enfin, voilà un magasin fashionable ! Le maître est un petit vieillard propret, le nez armé de lunettes formidables, qui ne cachent pas tout à fait ses yeux vairons et malins : trois jeunes commis se succèdent devant la boutique, apportant l’un après l’autre tantôt des tuniques en cotonnade qui servent de chemises, tantôt des vestes ouatées, des pelisses en soie doublées en peau de mouton, et même des robes d’apparat ; ils les drapent autour d’eux, et les font admirer aux passants, en criant d’une voix de fausset leurs qualités et leur prix. Tout le fond du magasin y passera successivement : c’est l’usage, et cela est encore plus ingénieux, et plus de nature à capter les chalands que les vitrines artistement arrangées de nos expositions européennes.

« Je me suis laissée tenter : j’ai acheté, entre autres choses, une pelisse en soie bleue doublée en laine blanche ; cette laine est douce et fine comme de la soie ; elle provient de la célèbre race des moutons ong-ti.

« Je l’ai payée vingt-cinq piastres[1] : c’est peut-être le double de ce que cela vaut, mais le maître de l’établissement a été si persuasif, si irrésistible que je me suis laissée faire, et que j’ai dû m’en aller, parce qu’il aurait été capable de me faire acheter toute sa boutique.

« Les Chinois sont, certainement, les premiers marchands du monde, et je prédis aux commerçants de Londres et de Paris de redoutables concurrents, s’il leur prend fantaisie d’aller s’établir en Europe.

« Enfin ma pelisse fourrée est de bonne précaution contre les vents glacés du désert de Gobi qu’il va bientôt falloir traverser.

« J’ai fait diverses autres emplettes, et je suis rentrée bien fatiguée et la tête encore assourdie du bruit perpétuel, des cris et des vociférations en toutes langues de cette ville commerçante.

Un rémouleur de Kalgan. — D’après un dessin chinois.

« Après dîner, M. de Baluseck s’est séparé de sa femme, qui retourne en Sibérie avec nous, et a repris la route de Pékin. M. Bruce veut nous accompagner jusqu’à Bourgaltaï, première station de Mongolie.

« Demain nous partons de bonne heure, et j’aperçois de l’auberge les ramifications de la grande muraille qui s’étendent au nord de la ville vers la crête des montagnes. »

Tchang-kia-keou est le véritable nom, le nom chinois de cette grande ville ; ce sont les Russes qui l’ont appelée Kalgan.

On estime le chiffre de sa population-à deux cent mille âmes environ, sans compter les nombreux étrangers que le commerce y attire.

Située au fond d’une vallée qui va rejoindre celle de Suan-hoa-fou, au pied des montagnes qui l’entourent de tous côtés, Kalgan est arrosée par une petite rivière affluent du Wen-ho et entourée d’une grande muraille crénelée assez bien entretenue. Elle est entourée de faubourgs considérables, et bâtie irrégulièrement ; c’est une agglomération de maisons laides et mal distribuées ; on y remarque peu de monuments et un très-petit nombre de jardins et de grands arbres ; mais c’est le centre d’un grand commerce, parce qu’elle est assise à l’embranchement des routes de Sibérie, du Kan-sou et du Thian-chau-nau-lou.

Les Mongols et les Mandchoux, qui alimentent l’importation et l’exportation, y apportent des pelleteries, des champignons, du sel, du gingseng, des draps et autres marchandises russes ; ils y amènent aussi d’immenses troupeaux de bœufs et de moutons. Ils emportent en échange du thé en briques, du tabac, des cotonnades, des selles et des harnais, des farines d’orge et de millet, et des ustensiles de cuisine.

Les marchands chinois, qui connaissent la passion des nomades pour tout ce qui est supposé venir de Pékin,

  1. La piastre mexicaine, qui est en usage en Chine, vaut à peu près six francs de notre monnaie.