Page:Le Tour du monde - 14.djvu/10

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dite des Taïpings contre la dynastie mandchoue ont créé dans les ports de la Chine ouverts au commerce étranger, l’industrie de la vente de jeunes filles et de jeunes garçons enlevés par les Impériaux ou leurs alliés dans les localités insurgées vouées au carnage et à l’incendie. C’est ainsi que notre petit Rebelle a passé des mains de soldats de la légion franco-chinoise sur le marché de Shanghaï, et de là au Japon. Un jour, un exprès de la légation de France, appartenant à un bataillon d’infanterie légère d’Afrique, fut introduit dans notre salle à manger pour remettre une dépêche. Rebelle, aussitôt qu’il l’aperçut, se prit à trembler de tous ses membres et s’enfuit en chancelant, par une porte de la vérandah. Le pauvre garçon n’a plus qu’un seul souvenir de son enfance, souvenir terrible, qui le glace d’effroi dès qu’une occasion fortuite vient à le réveiller : c’est d’avoir vu des maisons en flammes tout autour de lui, et un homme à pantalon rouge s’approcher, le saisir, le serrer sous son bras, et l’emporter au loin.

Les fonctions de valets de chambre sont remplies par les coskeis, tous indigènes. Chacun des hôtes et des employés de la résidence à son coskei spécial. Le mien est un jeune garçon qui porte le nom de Tô. Comme la généralité des Japonais, il ne connaît pas bien exactement son âge ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il rentre dans la catégorie des adolescents, car on ne lui a pas encore rasé le devant de la tête jusqu’au sommet.

Tori ou porte sacrée à Benten. — Dessin de Tirpenne d’après une photographie.

Tô est doué d’une vive intelligence et d’une grande égalité d’humeur. Il ne le cède pas à nos Javanais pour le silence, le calme et la tranquillité dans le service ; et il a sur eux le double avantage d’une instruction développée et d’un caractère aimable et gai.

C’est avec Tô que j’ai pris ma première leçon de langue japonaise. En trois mots il m’a donné la clef de la conversation, et l’on ne manquera pas d’apprécier combien, sans qu’il s’en doutât, la méthode dont il faisait usage était philosophique. Les opérations de l’esprit se résument en effet à trois principales : le doute, la négation et l’affirmation. Aussitôt que l’on sait exprimer ces trois opérations, tout le reste n’est plus qu’une question de vocabulaire, c’est-à-dire qu’il suffira de se meubler la mémoire d’un certain choix de mots usuels, et l’on se tirera d’affaire en toute rencontre. Donc, nous commencerons par le doute, et nous dirons en japonais : arimaska ? ce qui signifie : y a-t-il ? Puis nous passerons à la négation : arimasi, il n’y a pas. Et nous finirons par l’affirmation : arimas, il y a. — Après cela le vocabulaire nous apprendra les mots dont nous pouvons avoir besoin, tels que : Nippon, Japon, Japonais ; tchi, du feu ; tcha, du thé ; , un cheval ; misou, de l’eau ; founé, un bateau ou un vaisseau ; kinkwa, la