Page:Le Tour du monde - 14.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Enfin, un quatrième groupe se composait des domestiques de toutes classes. Parmi eux on distinguait encore les principaux personnages.

Favorisé par un magnifique clair de lune, j’observai leurs attitudes et leurs rapports. Notre dresseur de tentes se tenait sur la réserve, il était un peu revenu de sa mésaventure d’Esneh, où il avait reçu la bastonnade pour la peccadille d’un excès de zèle. À mesure que les traces du bâton s’étaient cicatrisées, le physique avait repris son allure première ; néanmoins le moral restait affecté et il sentait le besoin de cette réserve pour ne pas perdre davantage aux yeux de ses compagnons. Le cuisinier en second était l’un des notables de ce groupe ; il affectait volontiers d’étendre la suprématie que lui donnait sa position sur l’aide de cuisine à plusieurs autres personnes de sa société. Parmi ces domestiques, ceux du colonel turc étaient véritablement trop jeunes pour jouer un rôle de quelque importance ; ils étaient même souvent exposés aux railleries de leurs voisins. Yousouf-Effendi venait de temps à autre soutenir de sa présence ces jeunes serviteurs, près desquels il laissait parfois percer une douceur de langage qui n’était nullement dans ses habitudes avec les autres domestiques.

Mosquée de Korosko. — Dessin de Karl Girardet d’après l’album de l’auteur.

Pendant que j’observais ces gens, ces mœurs, ces habitudes du désert, sujets tous nouveaux pour moi, chacun avait terminé son maigre repas et faisait ses préparatifs pour passer la nuit le plus commodément possible, et à peu de frais toutefois. Les uns s’adossaient aux ballots avec quelques objets sous la tête, et s’enroulaient dans leurs vêtements, d’autres se jetaient simplement sur le sable. Le colonel Yousouf et quelques autres dont je faisais partie firent étendre des tapis sur le sable ; l’oreiller était un coussin, un sac de nuit ou n’importe quoi. Le colonel russe, plus soigneux de sa personne, avait apporté une sorte de lit de sangle pliant, sur lequel il s’étendit.

Pour mon compte, je m’étais fait faire une espèce de grand sac pour me servir de draps et me garantir des moustiques et autres insectes ; seulement, au lieu d’être ouvert par le haut, ce sac était cousu de toute part, sauf une tente à l’extrémité de l’un de ses côtés, qui servait à s’y introduire et qui se rejoignait ensuite devant la figure ; mais ici le sol et l’air étaient trop bien purgés de tout insecte, pour qu’il fût nécessaire de recourir à ce linceul ; il fut donc mis de côté, et la voûte du ciel fut ma seule couverture.

Chacun avait-reconnu les inconvénients de la tente qui renferme dans un espace resserré les émanations chaudes du sol, et elle n’avait pas été dressée ; c’est donc ainsi pêle-mêle qu’hommes, animaux et ballots passèrent la nuit.