Page:Le Tour du monde - 14.djvu/182

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n’obstrue pas trop le passage, pour descendre dans le lit de ces torrents et en sortir ensuite ; hommes et animaux se prêtent réciproquement secours en se poussant ou en se tirant mutuellement avec des cordages.

Dans ces régions, ce n’est pas l’ardeur du soleil qui détermine le printemps ; l’astre passe et repasse au zénith sans produire d’influence sensible par lui-même sur la nature végétale, si ce n’est la sécheresse. Mais pendant sa marche vers le nord arrivent un ciel nuageux et les pluies estivales, et celles-ci, en humectant le sol, mettent la séve en mouvement, et déterminent la saison du printemps. L’époque où nous nous trouvions correspondait à l’hiver, ou plutôt à la saison morte et sèche, car la chaleur était extrême et le ciel sans nuages, quoiqu’ils dussent venir plus tard. La plupart des arbres étaient dépourvus de feuilles ; néanmoins la vie végétale n’est jamais complétement suspendue sous ces latitudes : quelques essences d’arbres avaient un feuillage très-vert, quoique menu ; d’autres étaient en fleur.

L’arbre le plus remarquable de ces contrées est le baobab, qui, par sa grosseur comparative, est l’éléphant du règne végétal. Cet arbre monstrueux est appelé gongolès dans le pays ; il est surtout remarquable par ses dimensions prodigieuses ; son tronc atteint un énorme développement, j’en ai mesuré qui ont dix à douze brasses de tour (dix-huit à vingt et un mètres) ; il paraît qu’il en existe un près de Rosseires qui a quinze brasses de tour (vingt-six mètres), et, dans l’Afrique occidentale, Adanson en a mesuré qu’il évalue à environ trente-six mètres de circonférence. Cette grosseur est telle, que la cavité que renferme un tronc semblable, dont les parois n’ont ordinairement qu’une quinzaine de centimètres d’épaisseur, présente un espace cubique supérieur à celui de la plupart des salons actuels de Paris. En calculant par analogie le nombre de couches ligneuses annuelles qu’ont dû comporter ces plus gros troncs, on arrive à leur attribuer l’âge prodigieux de cinq à six mille ans.

Le tronc affecte généralement des formes pyramidales. Les branches, très-grosses à leur point de départ, sont fort inclinées ; mais elles se rétrécissent très-sensiblement en se courbant selon une direction plus verticale, ce qui leur donne l’aspect de grosses cornes. Elles correspondent sur le tronc à des renflements en forme de nervure, qui semblent les relier au sol par un fort empâtement, auquel s’attachent les principales racines que l’on aperçoit quelquefois sur le sol. L’écorce de cet arbre est presque unie et glacée, quoique formant çà et là quelques galles ou boursouflures ; elle est recouverte d’un épiderme fin, qui a le reflet d’un bronze de couleur rose violacé. Immédiatement contre le tronc et les plus grosses branches il en croît de toutes petites, qui, par leur disproportion, font un contraste monstrueux. Il paraît que ces petites branches, après avoir végété quelque temps, sèchent et tombent d’elles-mêmes.

Le baobab croît lentement, et, pour que ces colosses atteignent une telle grosseur, les habitants du pays pensent aussi qu’ils doivent avoir plusieurs milliers d’années. La manière dont se comporte cet arbre semble, eu effet, accuser une longue période d’existence : les plus petits, très-rares, sont pleins dans l’intérieur ou offrent de petites cavités, tandis que les plus gros présentent de grands vides irréguliers qui pourraient former de petits appartements. Ce qui existe actuellement d’un de ces vieux troncs semble être, si je puis m’exprimer ainsi, le reste d’une suite de générations qui se seraient succédé dans le même individu, par un accroissement successif à la surface extérieure, en laissant dépérir les parties intérieures qui les ont précédées.

Le fruit de cet arbre[1] se compose d’un ovoïde de quinze à vingt centimètres de long, formé par une écorce dure, tomenteuse, d’un vert velouté ; elle renferme des morceaux irréguliers ou anguleux de pulpe blanche, féculeuse, de la grosseur d’une fève, contenant des noyaux également irréguliers. Ces morceaux de pulpe sont tassés entre des cloisons filandreuses, à jour, qui vont aboutir à l’écorce. On mange ce fruit, ou plutôt on ronge ses noyaux féculeux, qui ont un goût sucré et aigrelet, et l’on en fait aussi de la limonade. Les écureuils en sont très-friands.

Le baobab n’a pas de feuilles dans la saison qui précède les pluies, c’est-à-dire depuis décembre jusqu’au mois de juin ; un peu plus tard, il se pare de longues fleurs blanches. Dans cette saison, on voyait ses fruits seuls pendus aux branches. Ses feuilles, de douze à quinze centimètres de long, jonchaient le sol ; elles ressemblent en grand à celles du marronnier d’Inde. En poudre ou en décoction, ces feuilles, de même que l’écorce des jeunes rameaux, ont des qualités nutritives et adoucissantes. On emploie aussi les filaments que contient l’écorce du tronc de cet arbre pour faire des cordes, des sacs et d’autres objets que l’on travaille avec beaucoup de soin.

Le zeziphus ou spina-christi végète en forme de buisson ; ce que cet abrisseau a de plus remarquable pour le voyageur qui parcourt les forêts où il est répandu, c’est son armure d’épines fortes et crochues, dont on ne se défait qu’avec la plus grande difficulté une fois qu’elles vous ont harponné ; chaque mouvement irréfléchi que l’on fait pour se débarrasser de ces crocs amènent d’autres branches, qui saisissent de toute part l’homme couvert d’un vêtement, et qui labourent l’épiderme de celui qui n’en a pas.

Le 14 mars, nous continuâmes de circuler dans les belles forêts sans fin du Fa-Zoglo ; ces forêts, cependant, sont moins belles que certaines parties de celles que j’ai décrites plus au nord ; mais il ne faudrait pas

  1. J’ai remarqué dernièrement, au musée du Louvre, un de ces fruits au milieu de diverses matières provenant des antiques tombeaux de Thèbes. Ce fruit seul ne portait aucune suscription, et figurait là comme un objet dont on ne connaîtrait ni le nom ni l’origine.