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point saillant qu’on aperçoit d’un grand nombre d’endroits.

Mes frères et moi nous avons réussi, le 2 août 1856, à monter jusqu’à 20 120 pieds sur un contre-fort du Sassar ; Le 19 du même mois nous avons atteint, sur l’Ibi-Gamin, la hauteur de 22 259 pieds (6 810 mètres), la plus considérable où l’homme soit encore arrivé sur une montagne, mais je m’empresse de l’observer, on est monté plus haut en ballon.

Dans les premiers temps, nous souffrions beaucoup, dès que les cols que nous franchissions atteignaient 17 000 à 18 000 pieds, mais, lorsque nous avions passé quelques jours à de grandes hauteurs, nous ne ressentions plus, même à 19 000 pieds, qu’un malaise passager ; il est, d’ailleurs, vraisemblable qu’un séjour prolongé à une pareille altitude ne pourrait avoir pour la santé que des suites désastreuses dont on se ressentirait toute la vie.

Je doute que la grande crête de l’Himalaya contienne beaucoup d’autres passes que celle qu’on lui connaît déjà, mais le Karakoroum et le Kouen-Loun une fois explorés nous offriront sans nul doute une liste beaucoup plus longue de dépressions importantes.

La hauteur moyenne des cols dans ces trois grandes crêtes est, pour l’Himalaya, de 5 430 mètres ; pour le Karakoroum, de 5 700 ; pour le Kouen-Loun, de 5 180 mètres. Mais le plus élevé de tous ces cols ne s’en trouve pas moins dans l’Himalaya ; c’est la passe d’Ibi-Gamin, menant du Garhval au Gnari-Khorsoum ; nous sommes les premiers, et jusqu’à présent les seuls Européens, qui l’aient franchie ; son altitude est de 20 459 pieds (6 240 mètres). Le voyageur qui veut s’élever sur la crête de l’Himalaya doit, au minimum, gravir jusqu’à 16 186 pieds, c’est-à-dire dépasser de quelques centaines de pieds la hauteur du Mont-Blanc lui-même. Le col le plus élevé des Alpes, le Weiss-Thor, n’a que 12 136 pieds d’altitude.


Hydrographie.

La Haute-Asie est riche en sources de tout genre, sources froides, sources chaudes, qui jaillissent de toutes les façons possibles, et qu’on rencontre jusqu’à des hauteurs de 17 000 pieds. La plus élevée de toutes celles que nous avons vues, — c’est même jusqu’à présent la source froide la plus haute du Globe, — sort de terre à une altitude de 17 650 pieds, dans le Thibet, sur le versant septentrional de l’Ibi-Gamin. Avant nous la plus haute passait pour être celle qui jaillit, par 15 920 pieds, sur les pentes du col de Kyoungar. Humboldt dit que la source la plus élevée des Andes gît par 15 526 pieds ; dans les Alpes on n’a pas vu de source froide au-dessus de 10 440 pieds

Aucune contrée de la Haute-Asie n’est plus riche en sources que le Cachemir. Plusieurs d’entre elles sont considérées comme saintes et visitées par des milliers de pèlerins, surtout les sources chaudes dans le voisinage desquelles on ne manque jamais d’élever quelque temple, mais qu’on ne songe presque en aucun cas à rendre captives, au grand avantage de l’observateur. Il lui est ainsi bien plus facile d’étudier leur mode de jaillissement qu’en Europe, où la plupart des sources chaudes emprisonnées dans des réservoirs, sont par cela même, rarement accessibles.

Dans la Haute-Asie, nous connaissons cinquante-deux endroits où jaillissent des sources chaudes, c’est-à-dire dont la température dépasse sensiblement, au point d’émergence, la température moyenne de l’air ambiant. Dans presque chacun de ces endroits les sources, loin d’être seules et uniques, se présentent par groupes, quelquefois de dix à quinze. Les plus célèbres sont celles de Badrinath, de Jamnotri et de Manikarn. Cette dernière, située dans l’étroite vallée de Koulou, par 5 587 pieds d’altitude, est la plus chaude de la Haute-Asie ; sa température atteint 94° 4 centigrades.

Les lacs sont rares dans l’Himalaya ; les plus grands se trouvent à de faibles altitudes : le lac de Naïnital, (Kamaon), n’est qu’à 6 520 pieds, le Voullar, dans le Cachemir, qu’à 5 126 pieds au-dessus du niveau de la mer.

Dans le Thibet et le Turkestan, au contraire, on rencontre un grand nombre de lacs, mais qui s’assèchent tous les jours, et dont ce qui en reste maintenant témoigne combien ils étaient jadis plus vastes qu’à notre époque. Tous se trouvent à de hautes altitudes, tous renferment une forte proportion de sel.

Les lacs les plus importants du Thibet occidental, du Karakoroum et du Kouen-Loun sont au nombre d’une quinzaine, et leur attitude varie entre 3 810 mètres (le lac Aksaë-Chin) et 4 755 mètres (le lac Tso-Gyagar), la nappe du Mansaraor, un des lacs sacrés, est à 1 620 mètres au-dessus du niveau de l’Océan. Sur les cartes du Thibet central et oriental figurent beaucoup de lacs plus étendus que ceux-là, mais entièrement inexplorés.

La grande ligne de partage des eaux de la Haute-Asie n’est pas formée, comme on le croyait à tort, par le Kouen-Loun, mais comme nous l’avons découvert par le Karakoroum. L’Himalaya, le Kouen-Loun sont, en plusieurs points, coupés par des cours d’eau ; l’Himalaya, par exemple, l’est par le Satlej, le Kouen-Loun par le Karakach. Les innombrables torrents de l’Himalaya, qu’ils prennent leurs sources sur le versant du nord ou sur le versant du sud, tous ceux du Thibet et de la pente méridionale du Karakoroum se dirigent, au sud, vers les plaines de l’Inde, et vont se perdre dans l’océan Indien. D’autre part, tous ceux qui naissent sur le versant septentrional du Karakoroum, et sur les deux versants du Kouen-Loun se dirigent, au nord, vers la grande dépression de l’Asie centrale ; ils y forment des cours d’eau dont les uns s’évaporent dans les steppes immenses ; quelques-uns, moins nombreux, se jettent dans les lacs intérieurs, d’autres courent jusqu’aux mers de Chine.

On remarquera avant tout que la plupart des rivières de la Haute-Asie ne sont pas alimentées par des sources, dans le sens propre du mot, mais par des glaciers. La masse d’eau qu’elles entraînent subit d’importantes variations, grâce à la grande fonte de neiges de l’été, qui ne cause guère d’inondations fâcheuses hors du Thibet.