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Ces inondations sont souvent dues à des chutes d’avalanches ou à des éboulements qui barrent le cours des rivières dans les régions les plus inaccessibles et les moins visitées de la montagne. D’immenses masses d’eau s’amassent derrière l’obstacle et, quand celui-ci cède, elles se précipitent avec violence dans le lit de la rivière, dont elles élèvent le niveau à une hauteur extraordinaire Les principaux phénomènes qui caractérisent leurs cours, sont, en première ligne, l’énorme écart du niveau de leur masse d’eau selon les saisons, la grande quantité des matières qu’elles tiennent en suspension et surtout l’extrême puissance d’érosion en vertu de laquelle elles creusent de plus en plus leur lit qui s’abaisse ainsi, lentement mais continuellement, au-dessous du niveau général de la contrée.

Dans l’Himalaya et dans le Thibet, la profondeur moyenne des érosions, même sur les plus petits cours d’eau, est de douze à quinze cents pieds. Cette profondeur dépasse souvent deux mille pieds ; quelquefois même, comme sur le Gange, le Satledj et l’Indus supérieur, elle atteint le chiffre de trois mille ; ce qui veut dire que le lit de ces trois fleuves serpentait jadis à mille mètres plus haut, et que tous trois ont détruit et entraîné une couche de roches et d’alluvions d’une puissance de mille mètres.

Les principaux résultats des érosions, qui continuent de nos jours, nous en avons d’irréfragables preuves, — seront dans la suite des temps : l’élévation de la température, la création de courants d’air porteurs de calorique le long des pentes escarpées des vallées et le changement des conditions hygrométriques, si intimement liées à la distribution de la végétation et dont l’influence est si grande sur le plus ou moins d’extension des glaciers.


Glaciers et limites des neiges éternelles.

Semblables pour leur mode de formation aux glaciers des Alpes, présentant les mêmes phénomènes physiques, les glaciers sont répandus en nombre extraordinaire dans la Haute-Asie et pourtant, chose merveilleuse, il y a quelques années à peine qu’on en connaît l’existence. Avant l’année 1842, on ne savait pas que la Haute-Asie possédât des glaciers ; bien plus, on avait échafaudé hypothèse sur hypothèse pour démontrer que les grandes chaînes en question n’en pouvaient pas avoir.

Le voyage de Vigne fit connaître les glaciers du Thibet. M. Richard Strackey, qui est aujourd’hui colonel, constata l’existence de ceux de l’Himalaya en 1847, et pour rendre en même temps impossible toute espèce de doute sur sa découverte, il publia une série d’observations prises avec soin sur l’avancement de deux glaciers plus étendus du Kamaon. Il est évident que les grandes masses de glace et de neige qu’on rencontre au plus fort de l’été, dans l’Himalaya, à des altitudes comparativement peu considérables, n’avaient pas échappé aux voyageurs antérieurs, mais ces voyageurs les avaient considérées comme des débris d’avalanches ou comme des phénomènes tout à fait locaux.

L’immense Haute-Asie nous est encore trop peu connue dans toutes ses diverses régions pour que je puisse me hasarder à donner l’énumération de tous ses glaciers de première grandeur : il est impossible de les compter. Il me suffira, pour le moment, de dire que le Karakoroum renferme, sinon les plus nombreux, du moins les plus grands amas de glace de la Haute-Asie. Un des groupes les plus intéressants, — nous avons eu occasion de le visiter, — se trouve dans le voisinage immédiat du col de Sassar, sur la grande route de commerce de Leh à Yarkand. Les glaciers de Chorkonda et de Pourkoutsi, dans le Balti, sont remarquables par leur escarpement, leur surface tourmentée, leurs puissantes crevasses. Le second, bien que moins étendu que d’autres glaciers, offre un panorama splendide, parce que, d’un seul point et d’un seul coup d’œil, on y embrasse de vastes surfaces congelées.

Le capitaine Montgomérie, l’un des officiers chargés de la mensuration trigonométrique de l’Inde, savant que recommandent la conscience et la précision de ses travaux, dit, dans un autre passage, que le glacier de Baltoro, dans la vallée de Brahaldo (Balti), a 36 milles anglais de long sur une largeur qui varie entre 1 mille et 2 milles et demi ; chacune des pentes du Biafo donne naissance à un glacier, et les deux réunis forment un fleuve congelé et continu d’une longueur de 64 milles anglais, se développant presque en ligne droite, sans autre interruption que les crevasses communes à tous les phénomènes de cet ordre.

Comparés à ces glaciers, qu’on peut à bon droit appeler gigantesques, ceux des Alpes peuvent certainement être qualifiés de petits. Quant aux Andes, on n’y connaît pas jusqu’à présent de glaciers, on ne sait pas non plus avec certitude si quelques-unes des montagnes neigeuses de l’Afrique, le Kilimandjaro, le Kénia en ont ou n’en ont pas. Pour ce qui me concerne, je ne vois rien, cependant, qui s’oppose à leur formation dans les Andes et dans les hautes montagnes d’Afrique.

L’extrémité inférieure des glaciers de la Haute-Asie descend assez bas au-dessous de la limite des neiges éternelles, à 11 000, quelquefois à 10 000 pieds au-dessus du niveau de la mer, dans la chaîne de l’Himalaya. Quelques-uns des glaciers du Thibet descendent encore plus bas ; celui de Bépho s’abaisse, fait vraiment exceptionnel, jusqu’à 9 876 pieds. Ceux du Karakoroum et du Kouen-Loun offrent les mêmes caractères que ceux de l’Himalaya et du Thibet. Un trait commun à tous, c’est qu’ils étaient autrefois bien plus étendus qu’aujourd’hui. La même observation s’applique aux glaciers d’Europe, mais je ne m’arrêterai pas à discuter si l’on n’est pas allé trop loin dans les conclusions qu’on a tirées de ce fait.

L’analogie me fait placer ici ce que j’ai à dire de la limite inférieure des neiges éternelles, qui est, comme on le sait, la ligne au-dessus de laquelle la neige se maintient toute l’année.