Page:Le Tour du monde - 14.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tentrional offre encore des arbustes à 11 500 pieds ; le versant méridional a 14 000 pieds d’altitude.

Aussi bien que dans les montagnes d’Europe, on rencontre souvent dans celles de la Haute-Asie de grands rochers s’élevant, comme des îles, du sein d’un glacier et s’y réchauffant aux rayons du soleil beaucoup plus que ne sembleraient devoir le permettre les masses de glaçons et de neiges qui les environnent. L’observateur ordinaire les croit nus, mais l’œil perçant du naturaliste découvre dans leurs fissures quelques plantes phanérogames singulièrement étiolées et rabougries, et néanmoins bien intéressantes puisqu’elles nous fournissent de nouvelles données sur les extrêmes limites de la vie végétale dans les montagnes. Au Thibet, sur les pentes nord-est du col de l’Ibi-Gamin, nous avons vu de ces plantes phanérogames à 19 809 pieds d’altitude. Dans l’Himalaya, près du col de Janti, nous avons rencontré des espèces du même genre à 17 500 pieds. Nulle autre montagne au monde n’offre encore de vie végétale à pareille hauteur puisque les plantes phanérogames les plus élevées découvertes par le colonel Hall dans les Andes du Chimborazo ne se trouvaient qu’à 15 769 pieds d’altitude.


Ethnographie.

Les trois grandes chaînes de la Haute-Asie ressemblent à l’Océan ; elles séparent des races d’hommes et de grandes religions. L’Himalaya entier, moins le Bhoutan, le Sikhim et le Cachemir, est habité par des Hindous qui, nous devons le dire, ne se sont pas conservés aussi purs de tout mélange que leurs frères des diverses castes dans l’Inde propre.

Quelques-unes des peuplades indoues de l’Himalaya, comme les Gorkhas du Népaul, les Dogras et les Sikhs du Chamba et du Jamou, se sont toujours fait remarquer par leur esprit guerrier ; elles se sont généralement montrées peu maniables et difficilement gouvernables ; d’autres tribus, au contraire, sont remarquablement douces, paisibles, hospitalières ; telles sont celles qui habitent le Kamaon et le Garhval.

Presque tous les Indous himalayens sont fervents dans leur religion, bien que beaucoup de leurs pratiques s’écartent des pratiques officielles du vrai brahmanisme. Il n’y a, d’ailleurs, rien d’étonnant à ce que le fanatisme règne en maître chez les riverains du Gange supérieur. Qu’on veuille bien se rappeler que les montagnes sont particulièrement révérées par les Indous et que la région des sources du fleuve sacré est précisément couverte de montagnes à neiges éternelles ; qu’on ajoute à cela que des fakirs fanatiques, venus de tous les coins de l’Inde, parcourent le pays en tous sens ; que la contrée fourmille de lieux saints, de temples, de monuments religieux et que le nombre des Brahmanes y est comme infini. Ces saints prêtres n’ont ni traitements ni revenus fixes, mais ils s’en créent à leur aise, sans peine et sans remords, en se faisant combler annuellement de cadeaux pécuniaires par les fakirs et les pèlerins, pauvres diables qui, dans leur écœurante superstition, cherchent à gagner par des largesses envers les ministres de la religion les jouissances et les bénédictions promises à tous ceux qui prient et font leurs ablutions dans les lieux sacrés, auxquels la seule piété ne leur donnerait certainement pas accès.

Dans le Thibet vit une nation de souche mongole, parlant une langue à part et professant, à l’exception des habitants du Balti, le Bouddhisme, religion qui a des dogmes philosophiques originaux dont notre frère Émile a passé la revue complète dans son livre sur le Bouddhisme au Thibet.

Les Thibétains se divisent en plusieurs tribus : la plus sauvage, la moins civilisée est celle des Hunias, qui sont presque tous cantonnés dans le Haut-Thibet (Gnari Korsoum). Les habitants du Thibet forment, en somme, une nation douce et paisible, plus pastorale qu’agricole. Leur patrie, qui regorge de sel, est aussi très-riche en produits minéraux, en chevaux petits, mais excellents, en grands troupeaux de yaks apprivoisés, en moutons célèbres par leur toison splendide. Malheureusement l’altitude du Thibet et sa situation continentale lui imposent un climat à la fois si rude et si sec que le pays est pauvre en céréales et que ses habitants mourraient positivement de faim si on ne leur apportait régulièrement des vallées de l’Himalaya ce qu’il leur faut de provisions pour vivre.

Le Turkestan, les plaines et les steppes de l’Asie centrale sont parcourus par des tribus nomades de Turkomans, de Mongols et de Kirghiz, qui se sont montrés, à diverses reprises, fougueux musulmans, malgré l’influence et la pression des Chinois dont ils dépendent.

Politiquement parlant, une portion de l’Himalaya — c’est surtout la partie orientale — relève directement des Anglais ; le Thibet occidental et presque tout l’Himalaya nord-ouest appartiennent au royaume de Cachemir dont le maharajah ou roi est indépendant, bien que quelque peu allié et vassal de l’Angleterre. Le Thibet oriental, le Bhoutan, situé dans la portion orientale de l’Himalaya, le Turkestan de Kachgard, et les provinces qui s’étendent à l’est de cette dernière contrée appartiennent à la Chine, qui a su jusqu’à présent soustraire tous ces pays à l’influence de l’Europe, au grand dommage de la géographie et de bien d’autres choses. Heureusement nous avons l’espoir fondé que l’Angleterre, et surtout la Russie, ne tarderont pas à nous ouvrir toutes ces régions.

On lira peut-être avec quelque intérêt les détails suivants sur les lieux d’habitation de la Haute-Asie.

Les nomades, on le sait, n’ont pas de demeures fixes ; les peuplades agricoles sont attachées au sol ; les tribus commerçantes tiennent à la fois du nomade et de l’agriculteur.

L’Himalaya s’élève par une pente tellement abrupte au-dessus des plaines de l’Inde, et ces plaines elles-mêmes sont, surtout à l’ouest, déjà si élevées au-dessus de la mer qu’on ne trouve que bien rarement, même