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tre la Pembina et l’Athabasca, et que nous avons appelé l’hirondelle retentissante, a attiré notre attention, mais nous n’avons jamais pu nous en procurer un échantillon. Il était à peu près de la taille d’un pigeon, avec des ailes longues et étroites comme celles du martinet. Il s’élançait comme lui çà et là dans les airs, paraissait prendre des mouches et, quand il était à une grande élévation, il tombait comme une flèche, faisant un singulier retentissement qu’on ne peut bien comparer qu’au bruit grandissant que produit une machine à battre le blé lorsqu’on y met une gerbe de grain. Nous n’avons jamais vu cet oiseau ailleurs en Amérique.

Trois jours après avoir passé la Pembina, nous nous arrêtâmes pour dîner dans une prairie marécageuse qu’avait formée une digue construite par les castors à travers un cours d’eau ; elle ressemblait tout à fait à celles que nous avions remarquées près de la rivière du Chien et à Edmonton. Ces endroits avaient maintenant beaucoup de valeur pour nous, car ils étaient les seuls espaces ouverts où il fût possible de faire paître nos chevaux, jusqu’à notre arrivée aux montagnes. Ils étaient fort communs le long de notre route et, le plus souvent, un monticule herbeux et un terrassement au travers de la prairie nous signalaient la vieille maison des castors et leur digue. Entre la Pembina et l’Athabasca, il n’y a presque aucun cours d’eau, hormis la grande rivière Mac Leod, qui n’ait l’air d’avoir été détruit par le travail de ces animaux.

Le Mac Leod est une belle rivière qui a environ cent cinquante mètres de large. Il roule ses eaux claires et peu profondes, comme la Pembina, sur un lit de rocs et de cailloux.

La chaleur était accablante. Les moustiques et une espèce de taons, que les métis appellent des bouledogues, tourmentaient les chevaux, et bien que nous eussions fait un grand feu de bois vert à leur intention (la fumée écartant les insectes), nos bêtes ne pouvaient paître et s’élançaient en tous sens, affolées par leurs douleurs.

Quand nous eûmes passé le Mac Leod, nous continuâmes à remonter le long de la rive gauche ou occidentale. La route était devenue plus mauvaise qu’aucune de celles que nous eussions vues encore. Le sol était marécageux et les sapins trop rapprochés.

Le 16, nous atteignions un endroit où, la rivière remontant par un coude qu’elle fait vers le sud, le chemin s’en éloigne à angle droit pour l’éviter. Il y a ici une petite rivière qui tombe dans le Mac Leod, et les collines grossissent et s’élèvent vers l’ouest.

Deux jours après, nous retrouvâmes le Mac Leod. Mais le petit sentier qui en suivait le cours s’effaçant de plus en plus, L’Assiniboine eut l’idée que nous avions quitté le bon chemin allant à Jasper-House, et partit à la recherche d’une meilleure route ; sa femme et son fils descendirent à la rivière laver quelques vêtements et nous restâmes seuls avec M. O’B.

Les taons étaient fort nombreux : nous fîmes, dans l’éclaircie que nous avions pratiquée, un grand feu dans l’intérêt de nos chevaux, puis un plus petit pour notre usage particulier. Nous étions tranquillement assis à l’entour, occupés à faire cuire le pemmican. M. O’B. avait retiré ses bottes et prenait un grand plaisir à fumer sa pipe. Tout à coup, l’autre feu se mit à petiller et à ronfler plus fort. Nous regardâmes, et nous fûmes frappés d’effroi en voyant que plusieurs des arbres qui entouraient notre clairière s’étaient enflammés. Il est probable que les chevaux, en se poussant mutuellement pour se mettre au plus épais de la fumée, avaient d’un coup de pied envoyé quelque tison parmi les sapins. Ceux-ci, bien que verts, brûlent avec plus d’intensité que le bois le plus sec. C’était un moment critique. Cheadle saisit la hache et abattit arbre sur arbre pour isoler des autres ceux qui avaient pris feu. Milton s’épuisait en courses pour apporter des seaux d’eau, qu’il allait prendre dans une mare, heureusement à proximité, et pour en inonder la mousse épaisse et sèche qui communiquait rapidement le feu à la surface du sol. Déjà cependant nous nous trouvions presque environnés par les arbres incendiés ; les flammes étincelaient et filaient de branche en branche, d’arbre en arbre, de la façon la plus épouvantable. Elles pétillaient et criaient. Elles dévoraient avidement la résine des troncs. Elles éclataient et sifflaient. Les feuilles inflammables des branches largement développées les attiraient. La peur rendait nos chevaux indociles. Plusieurs, en dépit des flammes, s’élançaient dans l’épaisseur de la forêt qui les environnait, et l’un d’eux, brûlé aux jambes, se jetait par terre et se roulait de douleur au plus fort du brasier. Jetant la hache et le seau, nous nous mîmes à le tirer par la tête et par la queue, mais en vain ; alors nous le battîmes férocement à la tête ; il fit un saut et s’élança dans le bois. Mais le retard causé par cet incident fut près de nous devenir fatal. Le feu en avait rapidement pris avantage ; l’air devenait brûlant, la fumée étouffante ; les flammes rugissaient avec fureur : un instant, nous nous demandâmes s’il ne valait pas mieux laisser tout là et nous réfugier dans la rivière. Cependant le courage nous revint ; nous reprîmes la hache et le seau, et, à mesure que nous abattions des arbres et que nous éteignions des espaces de mousse, nous recommencions à espérer. Au milieu de ces frénétiques efforts, l’idée nous vint que notre ami, M. O’B., ne nous avait encore donné aucune assistance. Regardant autour de nous, nous le vîmes assis où nous l’avions laissé, tiraillant faiblement une botte qu’il avait l’air d’avoir la plus grande difficulté à mettre. Nous lui criâmes de venir, au nom de Dieu, nous aider, s’il ne voulait pas que nous mourussions tous dans les flammes. Il répondit d’une manière assez indécise qu’il allait arriver tout de suite, dès qu’il aurait mis ses bottes. Enfin, excité par nos représentations, par la réflexion qu’il brûlerait aussi facilement avec ses bottes que déchaussé, il accourut tremblant, hors de lui, nous apportant une assistance aussi tardive que peu utile, sous la forme de demi-pintes d’eau qu’il puisait dans sa petite bouilloire d’étain. Néanmoins, peu à peu, nous réussissions