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ler de concert avec l’agriculteur ; elles le suivent gravement, et plongeant leur long bec dans le sillon entr’ouvert, elles détruisent les larves que le soc de la charrue vient de déterrer.

Le fond de la vallée est en nature de rizières. Il y a un mois environ qu’on l’avait mis sous l’eau en lâchant les écluses des canaux d’irrigation. C’est dans cet état que le sol en a été retourné par la charrue et broyé sous les pieds des buffles et des laboureurs, ceux-ci brassant eux-mêmes le limon jusqu’à mi-jambe et cassant à coups de bêche les mottes récalcitrantes. Lorsque la terre a été réduite en une sorte de pâte liquide, hommes et femmes, s’avançant pas à pas sur les digues d’enceinte, ont procédé de concert aux semailles en jetant les grains à pleine main sur les carreaux de limon destinés à former les pépinières. On les a encore remués avec une espèce de herse pour égaliser et enterrer la semence. Maintenant l’eau s’est retirée ; les pépinières ont fait leur pousse dense, serrée, et l’on arrache avec la racine les tiges qu’elles ont produites ; mais c’est pour les transplanter avec soin par touffes disposées en quinconces, à intervalles égaux, dans le sol mou des grands carrés que l’on n’a pas encore utilisés. C’est là que le riz doit croître et mûrir pour être moissonné à la faucille dès le mois d’octobre. Son plus redoutable ennemi jusqu’à cette époque, ce sont de jolis petits oiseaux au

Moulin à riz. — Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.

corsage roux et blanc, qui s’abattent comme la grêle sur les tiges chargées de graine, en font tomber à terre le fruit mûr et le livrent au pillage avec des cris d’avidité et des piétinements de joie assurément pleins de charme pour l’observateur impartial, mais dignes d’un tout autre genre d’intérêt pour le propriétaire de la moisson. Aussi le voit-on s’ingénier à créer toutes sortes d’épouvantails sur les points qu’il juge les plus menacés : des tourniquets de bambou disposés à la manière des ailes de moulins à vent ; une croix supportant un manteau de joncs et un large chapeau de paille ; un mannequin simulant un homme armé d’un arc avec une flèche en travers. Rien de tout cela cependant ne paraît avoir exercé sur les oiseaux de riz une influence très-moralisante, puisque l’on en est venu à attacher à des perches et tendre au-dessus de la rizière tout un réseau de cordeaux de paille tressée, munis d’appendices mobiles de la même matière : engin des plus efficaces, à condition qu’on le maintienne sans cesse en mouvement. Telle est la tâche d’un jeune garçon qui pendant toute la journée, lorsque le vent ne souffle pas, doit tirer, à la façon d’un sonneur de cloche, la corde destinée à mettre en branle le réseau protecteur. Quand la berge de la rizière n’est pas assez haute pour fournir à l’enfant un poste convenable, on lui dresse sur quatre bambous un siége aérien, abrité d’une petite toiture de roseaux.