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sous les voûtes de Notre-Dame du Port, — en face des lignes sévères de Saint-Eutrope se profilant avec la netteté et les tons de l’acier sur les verts coteaux de Chanturges, — devant les merveilleuses découpures de pierre de la fontaine du cardinal d’Amboise, le touriste aura analysé, comparé les mérites relatifs des styles byzantin, roman, gothique et de l’art de la Renaissance ; — quand il aura salué avec respect les maisons où vécurent Savaron et Pascal, puis sur la place de Jaude la statue de Desaix, le sultan juste ; — enfin lorsqu’il aura constaté, sous l’exploitation un peu puérile des eaux incrustantes de Saint-Allyre, le mode de formation de ce travertin qui joue un si grand rôle en géologie, — le touriste consciencieux n’aura pas tout vu dans Clermont ; c’est au musée qu’il devra venir faire sa visite d’adieu à la cité et résumer les impressions qu’il y aura puisées.

La rue des Grottes à Royat. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Réunion de collections particulières, amassées à grands frais de patience et de savoir, d’argent et de temps, puis léguées pieusement à la ville, cet établissement, organisé, classé avec un soin infini par le plus érudit de ses généreux donateurs[1], offre, à l’amateur d’antiquités et d’archéologie, des échantillons aussi nombreux que variés de la sculpture de l’époque romaine, des fragments d’architecture des dix ou douze premiers siècles, des tombeaux des temps mérovingiens et des objets du moyen âge, émaux, ivoires, reliquaires, armures, qui rappellent les salles de l’hôtel de Cluny. Dans la galerie de peintures, ornée de cent cinquante toiles au moins, l’artiste en remarquera quelques-unes que le Louvre pourrait envier[2]. Mais je recommanderai surtout, à quiconque se préoccupe des origines de notre patrie et de la philosophie de l’histoire, de s’incliner sur les vitrines consacrées aux antiquités gauloises ; il n’y contemplera pas sans intérêt des médailles d’or et d’argent datant de la grande lutte des Gaules contre Jules César et conservant encore les noms et les traits de quelques-uns des chefs des armées de l’indépendance ; puis tout à côté, des lames de glaives brisés, des objets de bronze et de fer, débris de l’attirail de guerre des cavaliers et des chevaux, puis encore, en nombre infini, des haches de jade ou de serpentine, des casse-têtes en basalte, des poignards et des pointes de flèches en silex, — armes de la plèbe et de l’infanterie gauloise.

Qu’à ces dernières et modestes reliques des vieux âges, nul bouillant adepte de l’archéologie antédiluvienne, ne cherche à appliquer les théories fraîchement écloses au fond des couches alluviales de Moulin-Quignon et des grottes d’Aurignac. Les spéculations enfantées par l’âge de pierre n’ont rien à faire ici ; toutes ces armes, tous ces objets, si différents qu’ils puissent être par la matière première, sont de même date et de même origine ; le même heurt de charrue, le même coup de houe à essarter, les a exhumés de la couche commune où ils reposaient pêle-mêle depuis les grands jours de la lutte contre Rome, sur le plateau historique de Gergovie, et depuis une époque bien plus rapprochée sans doute, dans les camps de Corent et des Chazaloux. Je serais désolé que cette assertion dérangeât quelque système préconçu ; mais les théories doivent plier devant les faits.

Le musée comprend en outre des galeries d’histoire naturelle où j’ai vu de précieux échantillons des roches et minéraux de l’Auvergne. Mais les plus curieuses, les plus complètes collections de ce genre, sont à deux pas de là, dans la demeure du savant professeur H. Lecoq, dont la porte, du reste, comme celle de M. Bouillet, est toujours ouverte à qui vient y frapper au nom de la science.

Ma plume vient de réunir deux noms dont Clermont peut s’enorgueillir, à bon droit, car depuis quarante ans les hommes qui les portent, toujours âpres à l’étude,

  1. M. J. B. Bouillet.
  2. Contentons-nous de citer une Cléopâtre de Pierre de Cortone d’après Rubens ; une Catherine de Médicis de Clouet ; une Ronde de farfadets de David Teniers ; un Arracheur de dents de Valentin ; une Tête de Vierge de Carlo Dolci, et surtout trois Callot, sans analogues et sans prix : Les malheurs de la guerre.