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toujours jeunes de verdeur et de dévouement scientifique, continuent dans ses murs la tradition de savoir et d’honneur qui a bien rarement fait défaut à la vieille Auvergne depuis les jours de Sidoine Apollinaire et de Grégoire de Tours.


IX

Royat et sa vallée. — Le Puy de Dôme et son cortége de volcans. — Le Malpays de la France centrale — Les puys de Pariou, Chopine et de Côme. — Coulées de lave de celui-ci. — Le camp des Chazaloux. — Les fonderies de Pontgibaud.

« C’est une chose agréable que la conversation ; mais il faut un peu de promenade au bout, et je ne trouve rien de plus doux que de prendre un peu l’air de la campagne après avoir passé plusieurs heures d’entretien dans la chambre. »

Ainsi s’exprime Fléchier, montant en carosse avec de belles dames, « pour aller visiter la source des fontaines de Clermont, qui est une des curiosités du pays. » Et je suis de son avis. Aussi, — après une conversation de table d’hôte, bruyante autant qu’instructive, avec des négociants et des spéculateurs, attirés à Clermont, de la plaine et de la montagne, par la fascination des chances de gains, prêtes à éclore, à la grande foire d’août qui s’ouvrait le lendemain[1], — je m’empressai de suivre l’exemple du docte abbé (autant du moins que le permettaient les dissemblances de son siècle et du nôtre) et je pris le chemin de Royat, non en carosse peuplé de conseillères et de présidentes, mais sur l’impérial d’un omnibus à vingt-cinq centimes, qui de six heures du matin à dix heures du soir, dans la belle saison, ne cesse d’accomplir son évolution démocratique entre le chef-lieu du département et les bains de Royat ou plus correctement de Saint-Mart.

À l’époque de Fléchier, il n’y avait ici « qu’un ancien bain ruiné, encore rempli d’eau et si chaud qu’on ne pouvait quasi en approcher. » Ces ruines, dont une partie remontent jusqu’aux Romains et plus haut encore, déblayées il y a quelque vingt ans, ont été remplacées récemment par un magnifique édifice, et à l’établissement thermal de Saint-Mart il ne manque maintenant que quelques améliorations de détails pour en faire un des plus florissants et des plus fréquentés de la France.

Au premier rang de ces desiderata, je placerai l’ouverture de quelques sentiers, dirigés vers les sites intéressants, à titres divers, que renferment le voisinage immédiat des Thermes, et surtout donnant, ce qui n’existe pas aujourd’hui, un libre accès dans le pittoresque ravin que la Tiretaine a creusé entre Saint-Mart et Royat, dans l’épaisse coulée de lave, dont une des dernières éruptions du volcan de Gravenoire a barré son cours et comblé sa vallée.

C’est dans cette lave, épaisse de 21 mètres, qu’au fond d’une excavation naturelle, mais emménagée par l’industrie du fontainier en regard artificiel, jaillissent les sources qui alimentent Clermont de l’eau la plus pure. Un peu plus haut et dans la même paroi s’arrondit également la grotte dite du Lavoir, si connue par les innombrables descriptions qu’elle a inspirées aux prosateurs et aux poëtes et par les prétendues reproductions qu’en ont tentées les arts graphiques. Quant à moi je me suis arrêté longtemps sous sa voûte aux pendentifs de basalte, brodés de lichens bleuâtres et de verts capillaires, — devant ses sept jets intarissables projetant dans l’ombre des reflets irisés, et déversant dans un bassin tout noir leur cristal scintillant ; je me suis assis en face du lierre allongeant ses guirlandes sur les angles saillants de l’entrée ; et dans ses détails comme dans son ensemble, cette œuvre commune du feu et de l’eau, ne m’a prouvé que l’impuissance du crayon, du burin et même du pinceau à rendre certains effets d’ombre et de lumière. Et voilà pourquoi la planche qui devait offrir à mes lecteurs l’image de la grotte de Royat gît, à l’heure où j’écris, pelotonnée au fond de ma corbeille aux rebuts, en dépit du nom très-estimable dont elle est signée et des frais qu’elle a coûtés à mon éditeur.

En amont de Royat, la coulée moderne de Gravenoire s’atténue et plonge sous un verdoyant tapis ; la vallée de la Tiretaine s’élargit et se creuse en berceau. Ce n’est plus un ravin, c’est un verger ; mais un verger excavé de plusieurs centaines de mètres entre des pentes de granit et de basalte, revêtues elles-mêmes jusqu’à leurs cimes d’arbres et de gazon. Pendant une heure au moins, nous l’avons remontée, comme on parcourt en rêve une création de Bernardin ou de Lamartine ; nous confiant au hasard capricieux des petits sentiers perdus dans les grandes herbes humides, émaillées de pâquerettes auréolées, de narcisses blancs et de renoncules jaunes, et nous écartant bien souvent de la ligne droite, pour voir sourdre ou bondir du sein d’une roche moussue quelque cascatelle, dont le lointain murmure nous avait séduits.

Quand l’administration des bains de Saint-Mart sera parvenue à ouvrir pour ses malades quelques voies praticables à travers ce paradis ; quand ils pourront, sans trop de fatigues, sans risquer de se mouiller jusqu’à mi-corps dans la prairie, ou de se rompre les pieds sur les corniches des rampes latérales, aller savourer le lait frais et aromatique de Fontanat, ou respirer les arômes résineux des bois de Solagnat et du Creux-d’Enfer, ce jour-là elle aura fondé sur des bases solides la prospérité de ce bel établissement, dont les actions, que j’ai trouvées en baisse, pour parler le langage moderne, seront dès lors cotées au même taux que celles de Plombières et de Vichy.

Une fraîche allée de frênes unit les deux hameaux de Fontanat et de la Font-de-l’Arbre, où nous vîmes la plus haute source de la vallée ; puis, ayant franchi un

  1. Les transactions du commerce et de l’industrie locale s’élèvent à Clermont à un chiffre très-élevé. Elles portent principalement sur le chanvre peigné, teillé et filé, sur les toiles fortes pour voiles et pavillons maritimes ; sur les farines fines et leurs dérivés, le vermicelle et la semoulle ; sur les conserves de fruits, les pâtes d’abricots et les sucres de betteraves ; sur le bétail et les fromages de la montagne, et enfin sur les vins abondants des côtes Clermontoises, qui vont grossir les flots de liquide englouti à Paris et à l’étranger sous le nom fallacieux de Bordeaux.