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petites chapelles de Kamis pour les garder dans l’enceinte de leurs sanctuaires. Ils s’empressèrent d’ajouter à leurs cérémonies des symboles empruntés à l’ancien culte national ; enfin, pour mieux confondre les deux religions, ils introduisirent dans leurs temples à la fois des Kamis revêtus de titres et d’attributs de divinités indoues, et des divinités indoues transformées en Kamis japonais. Il n’y avait rien d’inadmissible dans de pareils échanges, qui s’expliquaient tout naturellement par le dogme de la transmigration. Grâce à cette combinaison des deux cultes, à laquelle on a donné le nom de Rioobou Sintoo, le bouddhisme est devenu la religion dominante du Japon.

À l’envisager superficiellement, il semblait ne faire autre chose que d’ajouter sa sanction aux anciens souvenirs nationaux, et de nouveaux objets de vénération à ceux dont s’alimentait la dévotion des masses.

Ce fut d’abord le grand Bouddha de l’Inde, auquel on éleva ces statues colossales dont le Daïboudhs de Kamakoura offre le type le plus accompli.

L’on personnifia ensuite l’idée japonaise d’une divinité suprême dans l’image fantastique d’Amida, que l’on représente sous neuf formes différentes, symbolisant ses incarnations et ses perfections essentielles : l’une de ces dernières s’exprime par l’emblème d’une tête de chien.

Parmi les dieux auxiliaires, qui servent d’intermédiaires aux hommes pour s’approcher de la divinité, la faveur du peuple japonais se porta principalement sur Kwannon, qui possède à Yédo le temple le plus fréquenté de cette capitale, et à Kioto le fameux temple des trente-trois mille trois cent trente-trois génies (prononcez en japonais : Sanman sansin sanbiak sansin santaï). Cette divinité repose sur une fleur de lotus, la jambe gauche repliée sous le corps ; elle est coiffée d’un voile qui descend sur ses épaules et ornée d’un collier qui tombe sur sa poitrine.

L’idole colossale du Kwannon de Kioto n’a pas moins de quarante-six bras, chargés de toutes sortes d’attributs qui attestent sa puissance.

L’on adore dans les Bosats des êtres divins et secourables, assis comme le Kwannon sur une fleur de lotus,

la tête ceinte d’un ruban qui descend sur les épaules, et la main droite portant un lis ou un lotus.

Bonzes frappant le gong et jouant des cymbales. — Dessin de Émile Bayard d’après une peinture japonaise.

Au-dessous d’eux sont les Arhans, qui ont accompli depuis des milliers d’années le cycle de la métempsycose, les Gonghens, divinités qui renaissent encore sous la forme humaine, les Dsizoo, les Foutoo et d’autres qu’il est superflu d’énumérer.

Le bouddhisme a d’ailleurs divinisé les dix-huit principaux disciples de Sâkyamouni, les Rakans ; les plus illustres apôtres de sa doctrine, les Sennins ; et la foule de ses martyrs, les Mioôdzins : chacun de ces personnages ayant un attribut qui le caractérise, en sorte que l’on distingue parmi eux le saint au tigre, à la tortue, au chevreau, à la grue, à l’écrevisse, au dragon, au bambou, à l’iris, à la cascade…

Mais ce n’est pas encore tout : le bouddhisme a imaginé la reine du ciel, les gardiens du ciel, dont quelques-uns figurent aussi comme gardiens des temples ; puis les rois de la terre, les rois de l’enfer, les génies bienfaisants, les génies vengeurs ; il a mis à côté de l’ancienne divinité japonaise du soleil les dieux de la lune, des planètes, des signes du zodiaque, les génies de la pluie, du vent, du tonnerre ; enfin il a donné de célestes patrons aux médecins, aux soldats, aux palefreniers, aux chasseurs, à toutes les classes et à toutes les professions sociales.

Parmi cette multitude d’images, graves ou fantastiques, que le bouddhisme déroule devant nos yeux, il n’est pas toujours facile de faire la part de celles qui lui appartiennent en propre. Quelques-unes, avant sa venue, étaient sans doute déjà populaires au Japon.

Peut-être doit-on ranger dans cette catégorie le dieu des vents, Fûten, et celui du tonnerre, Raïden.

Le premier, dans la mythologie chinoise, est surchargé d’attributs empruntés au cerf, au moineau, au léopard ; dans le Japon, il ne possède qu’une outre, comme Éole, mais la symbolique japonaise se montre supérieure à la grecque, en ce que Fûten apparaît suspendu dans les airs, la tête échevelée et l’outre posée sur ses épaules : comme elle a deux ouvertures, il serre de chaque main le col de l’une et de l’autre, les fai-