Page:Le Tour du monde - 14.djvu/342

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ple et surtout le campagnard dans une profonde ignorance. Ils disent que la foi aveugle suffit pour conduire à la perfection. »

Le grand prêtre Foudaïsi, qui vint de la Chine avec ses deux fils, Fousjoo et Fouken, inventa un procédé mécanique propre à dispenser les bonzes de faire tourner la roue de la loi, selon le sens consacré dans le langage mystique du bouddhisme, tout en leur permettant d’accomplir à la lettre cette opération. Il construisit le rinsoo, sorte de lutrin mobile tournant sur un pivot, et y déploya les rouleaux des livres sacrés. Ses adeptes recevaient de sa part, d’après le degré de leur dévotion, l’autorisation de faire faire au rinsoo un quart de tour, un demi-tour, trois quarts de tour ; l’on obtenait très-rarement la faveur du tour entier, car c’était un acte aussi méritoire que si l’on eût récité d’un bout à l’autre tous les livres de la loi.

Les bonzes Sinran, Nitziten et une trentaine d’autres se sont fait un nom comme fondateurs de sectes, dont chacune se distingue par quelque particularité plus ou moins digne de rivaliser avec l’ingénieuse invention de Foudaïsi.

Grand-prêtre bouddhiste se faisant adorer. — Dessin de Émile Bayard d’après une vignette japonaise.

C’est ainsi que certaine confrérie a le monopole de l’exploitation du grand chapelet de famille. Il faut savoir que le chapelet bouddhiste ne peut déployer sa vertu que si on le défile correctement ; or, rien ne garantit que, dans une famille nombreuse, il ne se commette des erreurs dans l’usage du rosaire : de là l’inefficacité qu’on lui reproche quelquefois. Au lieu de récriminer en cas pareil, le parti le plus sage consiste à faire venir à domicile un bonze du grand chapelet pour remettre les choses en bon point.

Il s’empresse d’accourir avec son instrument, qui offre à peu près les dimensions d’un honnête serpent boa ; il le dépose entre les mains de la famille agenouillée et rangée en cercle, tandis que lui, placé devant l’autel de l’idole domestique, dirige l’opération au moyen d’un timbre et d’un petit marteau. Au signal donné, le père, la mère, les enfants entonnent de tous leurs poumons les prières convenues. Les petits grains, les gros grains, les coups de marteau se succèdent avec une régularité cadencée, entraînante. La ronde du chapelet s’anime, les cris deviennent passionnés, les bras et les mains obéissent avec la précision d’une machine, la sueur ruisselle, les corps s’engourdissent de fatigue. Enfin la cérémonie terminée laisse tout le monde haletant, épuisé, mais rayonnant de bonheur, car les dieux intercesseurs doivent être satisfaits !

Le bouddhisme est une religion flexible, conciliante, insinuante, s’accommodant au génie et aux usages des peuples les plus divers. Dès leur début au Japon, les bonzes surent se faire confier des châsses et même de