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Les courants maritimes jouent probablement un grand rôle dans l’histoire, encore si mystérieuse, des émigrations. Il s’est accompli par cette voie, le plus souvent involontaire, des voyages dont l’étendue étonne l’imagination. Tous les résidents européens de Yokohama connaissent l’interprète japonais Joseph Hico : il était à la pêche avec d’autres membres de sa famille, lorsqu’un coup de vent désempara leur embarcation et l’entraîna au large. Le grand courant équatorial qui baigne les côtes méridionales et orientales du Japon, et retombe en décrivant une courbe de quelques milliers de lieues sur la Californie, conduisit dans cette dernière direction les malheureux pêcheurs. Ils finirent par rencontrer un vaisseau américain, qui les déposa à San-Francisco.

Entre la Chine et le Japon la navigation est difficile et périlleuse : un contre-courant d’eau froide, issue des glaces du pôle, se déverse du nord au sud par le canal qui sépare ces deux pays ; tandis que les immenses courants d’eau chaude qui provenant de l’Océan indien s’échappent des détroits de Malacca et de la Sonde, coulent dans la direction du sud ouest au nord-est et se jettent, non pas sur les côtes de la Chine, mais, comme je l’ai dit plus haut, sur les côtes méridionales et orientales du Japon et les côtes nord-ouest de l’Amérique.

Les premiers Européens qui aient abordé au Japon, les trois déserteurs portugais, Antony de Moto, Francis Zimoro et Antonio Perota, s’étaient embarqués dans un port de Siam sur une jonque indigène : emportés en pleine mer par une tempête, ils furent entraînés par le courant équatorial jusque sur la côte méridionale de l’île de Kiousion (1542).

Interprètes japonais. — Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.

Le célèbre aventurier portugais Fernan Mendez Pinto et ses deux compagnons, Diego Zeimoto et Christophe Borello, eurent exactement le même sort, en s’éloignant de Macao sur une jonque chinoise. Ils furent jetés sur l’île japonaise de Tanégasima (1543).

En présence de faits pareils, il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’il fut un temps ou la grande île de Java avec ses dépendances formait un puissant empire, qui entretenait par sa propre marine des relations commerciales, d’une part jusqu’à Madagascar et en Arabie ; d’autre part, jusqu’en Chine et dans les archipels voisins. C’est de ce côté, et en général sur la Malaisie, que se reporte involontairement ma pensée, toutes les fois qu’il m’arrive de découvrir quelque analogie imprévue entre les mœurs publiques ou les habitudes domestiques des Javanais et celles des Japonais.

Mais je ne puis que jeter en passant cette observation, qui ne saurait encore appartenir qu’au domaine des conjectures.

Si l’on consulte les Japonais eux-mêmes, l’on n’en obtient que des réponses évasives, résultant de leur propre ignorance, ou de la répugnance qu’ils éprouvent à dévoiler aux regards profanes le sanctuaire de leurs traditions nationales. Ce n’est pas que celles-ci nous soient demeurées complétement inconnues. Elles ont fait, au contraire, le sujet de recherches et de travaux déjà considérables : les uns provenant des missionnaires catholiques ; les autres, de médecins au service de la Compagnie des Indes néerlandaises. Les Archives du Nippon, publiées par F. de Siebold, contiennent de remarquables fragments de littérature japonaise, consacrés à la cosmogonie et à l’histoire nationale. Ils sont traduits par le savant Dr Hoffmann de Leyde, et accompagnés de notes explicatives qui semblent ne rien laisser à désirer. Toutefois, des études fragmentaires, quelque consciencieuses qu’elles puissent être, ne sauraient nous donner encore la clef d’une civilisation aussi complète dans toutes les directions, que celle du peuple japonais.

Enfin, il est certains sujets, obscurs de leur nature, qu’il faut bien prendre tels qu’ils sont. L’on ne saurait exposer le système japonais de la formation de l’univers autrement que les Japonais eux-mêmes ne le comprennent, ou plutôt ne le reçoivent de la main de leurs prêtres et de leurs annalistes.


Cosmogonie. — La création. — Les dieux.

Au commencement il n’y avait ni ciel ni terre. Les éléments de toutes choses formaient une masse liquide et trouble, semblable au contenu d’un œuf dont le blanc et le jaune auraient été mêlés.

Dans l’espace infini que remplissait ce chaos, il surgit un dieu, qui s’appelle le divin Être suprême dont le trône est au milieu du ciel.