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sidad, nous fûmes saisis d’admiration à la vue de deux immenses mausolées de marbre blanc ; ces mausolées, véritables monuments, sont l’ouvrage de sculpteurs italiens du seizième siècle. Le fini et la richesse extraordinaire du travail en font des chefs-d’œuvre vraiment dignes de plus de renommée.

Un autre monument très-peu connu, et qui mérite cependant d’être visité, c’est l’église du couvent de Santa-Paula, qu’on appelle Las Monjas de Santa Paula. La partie supérieure du portail est entièrement revêtue d’azulejos de la plus grande beauté ; c’est le chef-d’œuvre de Niculoso Francisco, ce peintre céramiste italien, établi à Séville, dont nous avons déjà admiré les travaux à l’Alcazar. La peinture seule pourrait donner une idée du merveilleux effet décoratif de cette façade, dont les faïences peintes égalent les plus belles majoliques de Faenza et de Caffagiolo ; au milieu de ces faïences sont encadrés sept bas-reliefs en terre cuite émaillée de diverses couleurs, qui rappellent beaucoup les travaux de Luca della Robbia. Plusieurs azulejos de très-grande dimension, ornés de beaux reflets métalliques, représentent le monogramme du Christ en caractères gothiques d’une forme particulière, semblables à ceux qu’on remarque assez souvent sur les plats hispano-moresques de la fin du quinzième siècle[1].

On peut dire que le musée de Séville est le seul, parmi ceux de province, qui soit vraiment digne de ce nom : il occupe l’ancien couvent de la Merced, qui donne sur une petite place sur laquelle on a récemment placé la statue en bronze de Murillo, fondue à Paris, en 1861, par Eck et Durand.

L’école de Séville est certainement la plus importante de toutes celles d’Espagne : il suffit de citer Velazquez et Murillo ; c’est ce dernier qui forme, pour ainsi dire, à lui seul, le musée de Merced, qui ne possède pas un seul Velazquez ; cette absence de tableaux du plus grand peintre que l’Espagne ait produit peut surprendre au premier abord ; cependant elle n’étonnera pas si on se rappelle que Velazquez passa la plus grande partie de sa vie à la cour de Philippe IV.

Une salle particulière, qu’on appelle El salon de Murillo, est exclusivement réservée à une douzaine de toiles du maître sévillan, toiles provenant pour la plupart de couvents supprimés, et sauvées, dit-on, par le doyen Cepero, dont le nom mérite d’être conservé. Le saint Thomas de Villeneuve distribuant des aumônes est un chef-d’œuvre : les mendiants du premier plan sont d’un réalisme merveilleux, et vous pouvez encore les voir aux portes des églises de Séville. Il paraît que Murillo regardait le saint Thomas comme son meilleur ouvrage.

On sait que Murillo avait trois genres différents, que les Espagnols appellent frio, calido, vaporoso (froid, chaud et vaporeux) : le tableau qui représente sainte Justine et sainte Rufine est peint dans le genre chaud : les deux patronnes de Séville, filles d’un potier de Triana, sont représentées avec des vases pareils à ceux qu’on fabrique encore dans ce faubourg.

Un autre tableau de petite dimension, représentant la Vierge et l’enfant, a été peint, dit-on, par Murillo, sur une serviette : c’est pourquoi on l’appelle communément la servilleta.

La plupart des autres tableaux de Murillo sont également remarquables, bien que moins précieux ; nous ne citerons, parmi les ouvrages des autres peintres espagnols, qu’un saint Thomas d’Aquin, chef-d’œuvre de Zurbaran ; un saint Hermenegilde, d’Herrera el viejo, et une toile de Fr. Pacheco, le beau-frère de Velazquez, représentant un saint qui dévide ses entrailles, sujet souvent reproduit par les peintres espagnols.

Le musée de Séville ne possède que très-peu de sculptures ; les meilleures, parmi lesquelles il faut citer une Vierge de terre cuite, sont de Torrigiano, ce sculpteur florentin qui s’était exilé après avoir cassé d’un coup de poing le nez de Michel Ange ; on sait que Torrigiano périt dans un cachot de Séville, victime de l’Inquisition, qui l’accusait, dit-on, d’hérésie.

En sortant de Séville par la Puerta de Jerez, et en laissant à droite le Pasco de Cristina, nous arriverons au palais de San Telmo, résidence de M. le duc de Montpensier. Quand on pénètre dans cette demeure hospitalière, dont les salons sont gracieusement ouverts aux visiteurs, on est charmé de retrouver à chaque pas le goût français ; les grands vases de la Chine et du Japon, les élégants meubles de Boule, et d’autres recherches inconnues dans les intérieurs espagnols, nous rappelèrent un instant la patrie absente.

Les jardins de San Telmo, qui s’étendent sur les bords du Gruadalquivir, sont aussi beaux que ceux de l’Alcazar, et beaucoup plus vastes ; ils occupent un espace très-considérable, et égalent en superficie tous les jardins de Séville réunis. Les plantes les plus rares y sont cultivées, et on n’y compte pas moins de cinq mille cinq cents pieds d’orangers.


Les théâtres de Séville : la Cazuela. — Les pièces françaises travesties. — Les sainetes andalous. — El valor de una Gitana. — Fanfaronnades andalouses : Pacomandria y sacabuchés. — Les Estranjis. — Geroma la castañera. — Comment on traite les étrangers dans les sainetes. — Inglis-manglis, Gabachos et Franchutes. — Quelques couplets populaires sur les Français et sur les Anglais.

Séville possède deux théâtres : le Teatro principal, et celui de San Fernando, dans lesquels on joue tous les genres indistinctement : drames, opéras, zarzuelas ou opéras comiques, comédies, sainetes ; sans préjudice du baile nacional, qui termine presque invariablement la soirée. La distribution de la salle est à très-peu de chose près la même que dans nos théâtres ; les places qui composent chez nous le parterre et l’orchestre sont confondues en Espagne, et reçoivent le nom de sillas ou asientos de butaca. L’amphithéâtre ou le paradis s’appelle la cazuela, c’est-à-dire la casserole ; il paraît que ce nom est assez ancien, si nous en croyons ce passage

  1. Pour plus de détails sur ces faïences, voir notre Histoire des faïences hispano-moresques à reflets métalliques. Voir aussi notre étude sur Nicoloso Francisco, dans la Gazette des Beaux-Arts, vol. XVIII.