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Que le enterrasen en viña,
Para chupar los sarmientos.

S-i nous en croyons cet autre couplet, les Gitanos seraient aussi enclins au vol qu’à l’ivrognerie. Il s’agit d’un des leurs qui vient d’être arrêté :

« Gitano, pourquoi te mène-t-on en prison ?

— Monsieur, pour rien du tout : parce que j’ai pris une corde… avec quatre paires de mules au bout. »

Gitano, ¿ por qué vas preso ?
— Señor, por cosa ninguna :
Porque he robado una soga…
Con cuatro pares de mulas.

Ce quatrain nous remet en mémoire une anecdote bien connue en Andalousie :

Un Gitano qui, par extraordinaire, était à confesse, dit au padre cura :

« Mon père, je m’accuse d’avoir volé une corde.

Válgame Dios ! (Dieu me pardonne !) comment n’as-tu pas résisté à la tentation ? tu sais que le vol est un péché mortel ; enfin la chose, heureusement, pourrait être plus grave.

— Mais, mon père, il faut vous dire qu’à la suite de la corde se trouvait le harnais.

— Ah ! Est-ce tout ?

— Après le harnais, se trouvait le bât.

— Comment, le bât aussi ?

— Oui, mon père, le bât aussi ; et sous le bât se trouvait une mule.

Esa es mas negra ! Elle est trop noire ! reprit le confesseur. (Ouvrons ici une parenthèse pour dire que cette exclamation correspond exactement à la nôtre : Elle est trop forte ! )

— Non, mon père, reprit le Gitano, qui croyait qu’il s’agissait de l’animal volé ; elle était bien moins noire que les mules qui suivaient la première. »

Encore une autre histoire d’un Gitano allant à confesse : Tout en passant en revue quelques-uns de ses péchés, il aperçut, dans la large manche du confesseur, une tabatière d’argent, qu’il escamota avec dextérité.

« Je m’accuse, mon père, dit-il ensuite, d’avoir volé une tabatière d’argent.

— Eh bien ! mon fils, il faut la rendre.

— Mon père,… si vous la voulez ?

— Moi ! que veux-tu que j’en fasse ? reprit le confesseur.

— C’est que, voyez-vous, poursuivit le Gitano, j’ai offert au propriétaire de la lui rendre, et il l’a refusée.

— Alors c’est différent, répondit le curé ; tu peux la garder, elle est bien à toi. »

Une des principales rues du faubourg de Triana, qu’on appelle la calle de la Cava, ou simplement la Cava, est presque exclusivement habitée par des Gitanos : aussi chacun, à Séville, connaît-il cette locution proverbiale :

Si yo nací en la Cava ?

« Croyez-vous que je suis né dans la Cava ?  »

C’est comme si on disait : Me prenez-vous pour un homme de rien ?

Et ces deux vers d’une chanson populaire

Pa los Gitanos no me peino yo
Que me peino pa los toreros.

Ce n’est pas pour les Gitanos que je me coiffe, dit une séduisante maja, c’est pour les toreros ! »

Nous avons déjà dit, à propos du Sacro Monte de Grenade, quelques mots du caló ou langage des Gitanos ; celui qu’ils parlent à Séville est le même, ou du moins n’en diffère que par quelques expressions locales. Le caló diffère complétement de l’espagnol ; le principal rapport qu’il ait avec cette langue, c’est la terminaison des verbes, dont le plus grand nombre finissent en ar. La construction des phrases est, en général, la même que dans l’espagnol ; mais les mots, sauf de rares exceptions, n’ont aucune analogie avec ceux de cette langue, ni avec ceux d’aucune des langues parlées en Europe.

Comme nous l’avons dit précédemment, on trouve dans le sanscrit l’origine d’un assez grand nombre des mots qui composent le caló ; ce qui a fait supposer avec raison que les Gitanos doivent avoir une origine hindoue. On cite également un certain nombre de mots du caló qui sont pareils à ceux de la langue des bohémiens de Hongrie.

Le caló a ses légendes et ses poésies populaires, en partie écrites, en partie conservées oralement de génération en génération : nous avons lu la relation en decimas (strophes de dix vers appelées en caló, Esdencibus), d’une terrible épidémie qui, pendant l’été de l’année 1800, ravagea Séville et particulièrement le quartier de Triana ; cette poésie dépeint d’une manière effrayante les terribles effets du fléau ; les gens pleurant par les rues, les chars surchargés de victimes et les cimetières encombrés. Assez souvent leurs poésies se composent de quatrains : il existe un curieux poëme gitano en deux chants, intitulé : Brijindope (le Déluge).

Le caló a même un dictionnaire, curieux volume de D. Augusto Jimenez, publié à Séville, sous le titre de Bocabulario del dialecto jitano, et auquel nous emprunterons quelques mots pour donner une idée de cette singulière langue :

FRANÇAIS. CALÓ. FRANÇAIS. CALÓ.
Un, Yesque. Trente, Trianda.
Deux, Duis. Quarante, Ostardi.
Trois, Trin. Cinquante, Panchardi.
Quatre, Ostar. Soixante, Joventa.
Cinq, Panche. Soixante-dix, Esterdi.
Six Jobe. Quatre-vingt, Ostordé.
Sept, Ester. Quatre-vingt-dix, Esnete.
Huit, Ostor. Cent, Greste.
Neuf, Nével. Mille, Jazare.
Dix, Esden. Un million, Tarquino.
Vingt, Vin.

Voici maintenant les noms des jours de la semaine :

FRANÇAIS. CALÓ. FRANÇAIS. CALÓ.
Lundi, Limitren. Vendredi, Ajoró.
Mardi, Guerguéré. Samedi, Canché.
Mercredi, Siscundó. Dimanche, Curco.
Jeudi, Cascañé.