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Nous donnons aussi les noms des douze mois de l’année :

FRANÇAIS. CALÓ. FRANÇAIS. CALÓ.
Janvier, Inerin. Juillet, Nuntivé.
Février, Ibrain. Août, Querosto.
Mars, Quirdare. Septembre, Jentivar.
Avril, Alpandi (ou Quiglé). Octobre, Octorva.
Mai, Quindalé. Novembre, Nudicoy.
Juin, Nutivé. Décembre, Quendebre.

Ajoutons un rapprochement assez curieux : le mot churinar signifie en gitano poignarder ; or, c’est évidemment de là que vient, Dieu sait après quelles pérégrinations, le terme d’argot français chouriner, qui a exactement la même signification.

Les Gitanas ne se bornent pas à dire la bonne aventure : quelques-unes passent aussi pour sorcières ; de même qu’elles ont pour leurs horoscopes des formules toutes faites, elles en ont aussi pour jeter des sorts ; pour lancer la maldicion ou l’olajaï, comme elles disent en caló. Voici le texte d’une malédiction gitane, dont nous donnons la traduction phrase par phrase : on ne saurait rien imaginer de plus sauvage, ni de plus effrayant :

Panipen gresité terele tucue drupo !

« Que ton corps ait une mauvaise fin ! »

Camble Ostebé sos te diqueles on as baes dor buchil, y arjulipè sata as julistrabas !

« Veuille Dieu que tu te voies entre les mains du bourreau, et traîné comme des couleuvres ! »

Sos te mereles de bocata, y sos ler galafres te jallipeen !

« Que tu meures de faim, et que les chiens te dévorent ! »

Sos panipenes currucós te mustiñen ler sacais !

« Que de méchants corbeaux t’arrachent les yeux ! »

Sos Cresorne te dichabe yesqui zarapia tamboruna per bute chiró !

« Que Jésus-Christ t’envoie une gale de chien pour très-longtemps ! »

Sos manques sacaitos te diquelen ulandao de la filimacha, y sos menda quejesa or sos te buchare de ler pinrés !

« Que mes yeux te voient suspendu au gibet, et que ce soit moi qui te tire par les pieds ! »

Y sos ler bengorros te liqueren on drupo y orchi balogando a or casinobé !

« Et que les diables te transportent en corps et en âme jusqu’à l’enfer ! ».

Il est une autre maldicion gitana, parodie bien connue de celle qu’on vient de lire :

Déte Dios, si te casas, el infierno
De suegra y de cuñado ; y si te ausentas
Déte viajar con chicos y en invierno !

« Dieu veuille, si tu te maries, que tu trouvés l’enfer entre une belle-mère et un beau-frère ; et si tu t’absentes, puisses-tu voyager l’hiver avec des enfants ! »

On sait que de tout temps les bohémiennes ont passé pour très-habiles dans l’art de lire l’avenir dans le creux de la main. Nous nous rappelons avoir vu une ancienne gravure espagnole représentant une scène de ce genre, accompagnée de cette naïve légende :

Dadme las palmas
y os diré los secretos
De vuestras almas.

« Donnez-moi vos mains, et je vous dirai les secrets de vos âmes. »

Il nous arrivait rarement de nous promener dans le faubourg de Triana sans être accostés par quelques Gitanas qui voulaient à toute force nous dire la bonne aventure, et qui nous chantaient :

La Gitana con soltura
Dice la buena ventura.

« La Gitana avec désinvolture dit la bonne aventure. »

Doré leur livrait volontiers sa main, où elles lisaient les horoscopes les plus fantastiques, invariablement suivis de cette phrase : suelta me un calé, qui signifie dans leur langage : « donnez-moi un sou. » On voit que leurs prétentions ne sont pas exorbitantes.

Les jeunes Gitanas excellent souvent à chanter les airs andalous en s’accompagnant sur la guitare ; quelques-unes sont, dans leur genre, des virtuoses remarquables, et nous ne manquions jamais une occasion de les entendre. Leurs danses sont également très-originales, et nous n’oublierons pas de les mentionner quand nous passerons en revue les danses espagnoles, car rien n’est plus curieux à voir qu’un baile de Gitanos.

Après avoir traversé de nouveau le pont de Triana et suivi une promenade, récemment plantée, qui longe les bords du Guadalquivir, nous nous arrêterons sur une petite place carrée, à peu de distance de la Torre del Oro : c’est là que s’élève le fameux hospice de la Caridad ; la façade, parallèle au fleuve, est ornée de cinq grands tableaux, formés d’azulejos en camaïeu bleu, et d’un grand effet décoratif. Si on en croit la tradition, ces azulejos auraient été peints d’après les dessins de Murillo, ce qui n’a rien d’invraisemblable, puisque le célèbre peintre de Séville a fait pour la Caridad les tableaux si connus qu’on y admire encore.

L’hospice de la Charité, qui existait dès le seizième siècle, sous l’invocation de saint Georges, fut reconstruit en 1664, par un gentilhomme de Séville, Don Miguel Mañara Vicentelo de Leca, dont la vie extrêmement désordonnée et les aventures sans nombre faisaient, dit-on, un autre Don Juan, et qu’on a, du reste, confondu avec Don Juan Tenorio lui-même, le vrai Don Juan si souvent représenté au théâtre. C’est en expiation de ses péchés, que Don Miguel Mañara, possesseur d’une fortune immense, fit rebâtir la Caridad. Son corps repose dans la Capilla mayor, où l’on peut encore lire cette curieuse épitaphe qu’il fit graver sur son tombeau :

Cenizas del peor hombre que ha habido en el mundo.

« Cendres du pire homme qu’il y eut jamais au monde. »