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qu’ils savent conserver, dans leurs plaisirs, une mesure que nous autres Français nous n’observons pas toujours.

La Noche-buena, — la bonne nuit, ou la Noche é Naviá, — la nuit de la Nativité, comme les Andalous appellent la nuit de Noël, compte encore parmi les réjouissances de Séville ; mais la velada de San Juan, la veillée de Saint-Jean, est la plus importante des fêtes populaires de la capitale de l’Andalousie. Dans la soirée du 23 juin, veille de la fête du Précurseur, Séville tout entière se donne rendez-vous sur la vaste Alameda de Hércules : ce soir-là, un étranger qui veut s’y rendre n’a pas besoin de guide ; il n’a qu’à suivre le flot bruyant et agité de la population qui s’y porte en foule. C’est ainsi que nous arrivâmes sur la promenade, qui nous offrit un coup d’œil des plus curieux : l’Alameda était entourée de guirlandes de lumières qui présentaient, au premier coup d’œil, l’aspect d’une vaste illumination ; cependant ces lumières n’étaient autres que les fanaux qui éclairaient les innombrables boutiques dont la promenade était entourée.

Une odeur forte et pénétrante d’huile chaude nous fit deviner tout d’abord que les marchandes de beignets étaient en majorité : nous ne nous trompions pas ; de nombreux puestos de buñuelos, tous tenus par de brunes Gitanas, occupaient les meilleures places, car le monopole de la friture en plein air paraît réservé aux bohémiennes.

Majos et majas revenant de la feria del Rocio (environs de Séville). — Dessin de Gustave Doré.

D’autres occupent des puestos de flores, ou sont disposés avec un certain art les œillets, dahlias, et autres fleurs destinées à l’ornement des coiffures andalouses, et des ramilletes (bouquets), composés avec beaucoup de goût. Buñueleras et ramilleteras appellent les pratiques de la voix et du geste : si un monsieur en habit noir, un señó del futraque, commet l’imprudence de s’arrêter pour examiner leurs marchandises, il est bien vite entouré et il faut, bon gré mal gré, qu’il finisse par acheter pour quelques cuartos aux Gitanas, qui commencent par lui adresser, en le tutoyant, les épithètes les plus flatteuses, telles que oiyos é mi arma, (yeux de mon âme), etc. : mais s’il refuse d’acheter, malheur à lui. Elles se posent les poings sur les hanches, l’appellent macabeo (machabée), et lui adressent mille injures grotesques ; enfin, le malheureux ne s’échappe qu’après avoir essuyé une averse de ces imprécations dont le caló est si riche, et dont les Gitanas sont si prodigues.

N’oublions pas les puestos de agua, où se vendent toutes sortes de bebidas heladas (boissons glacées), des plus appétissantes : les boutiques, presque toutes ornées de la devise de Séville, le no 8 do dont nous avons déjà parlé, portent des noms peu en rapport avec leurs marchandises rafraîchissantes ; ainsi l’une s’appelle vulcano, l’autre intrépido, etc.

La Feria de Torrijos est une des fêtes ou romerias (pèlerinages) les plus renommées des environs de Séville : elle doit son nom à un petit village situé à peu de dis-