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tionne la pavane d’Espagne, qui se dansait par mesure binaire, dit-il, et donne quelques détails sur la manière d’exécuter ce pas.

On dit encore aujourd’hui en Espagne : Son entradas de pavana — ce sont des entrées de pavane — en parlant d’un homme qui vient gravement et mystérieusement tenir des discours ridicules ; et : Son pasos de pavana, à propos d’un personnage dont la démarche est d’une lenteur affectée. Il est évident que notre expression : se pavaner, doit avoir la même origine.

Le Paspié, si commun en France au dix-septième siècle sous le nom de passe-pied, n’était autre qu’une variété de la pavane ; il paraît qu’on l’appelait également Bretaña, ce qui fait supposer à un auteur espagnol qu’il pourrait bien être originaire de Bretagne.

Une autre danse espagnole, qui devint très-célèbre au seizième siècle, c’est le Pasacalle. Le Pasacalle, dont le nom signifie littéralement Passe-rue, ou promenade dans la rue, fut appelé ainsi parce que dans l’origine les jeunes gens le dansaient la nuit par les rues : on finit plus tard par ne plus le danser qu’au théâtre. En Espagne, le succès de ce pas alla jusqu’au fanatisme ; il en fut de même en Italie, où beaucoup de compositeurs exercèrent leur verve sur ce thème, et en France le Pasacalle eut aussi ses beaux jours sous le nom de Passacaille, qui n’est du reste que le même mot prononcé à la manière espagnole.

Les Folias tirent leur nom d’un vieux mot espagnol synonyme du français folie (les Espagnols disent aujourd’hui locura). Quelques-uns prétendent que cette danse est originaire du Portugal ; mais il est certain qu’elle était très-anciennement connue en Espagne. Il paraît que c’était une des plus gracieuses danses qu’on pût voir ; quelquefois on la dansait seul, quelquefois aussi à deux, avec les castagnettes au doigt et au son des flûtes ; le mouvement était tantôt lent et grave, tantôt animé et rapide. On rapporte que Pierre Ier, roi de Portugal, aimait les Folias avec tant de passion « qu’il passait souvent des nuits entières à les danser avec ses enfants et les personnes qu’il daignait honorer de son assez farouche amitié. » On a fait au dix-septième siècle, tant en France qu’en Italie, de nombreuses variations sur le motif, encore bien connu aujourd’hui, des Folies d’Espagne. Les Folias se dansaient encore dans les théâtres au siècle dernier, mais tellement défigurées, à ce que prétend un puriste du temps, qu’elles méritaient à peine leur nom.

La Chacona fut sans doute appelée ainsi à cause de son inventeur, car le nom de Chacon n’est pas très-rare en Espagne.

Au seizième siècle, on faisait en Espagne une distinction entre les Danzas et les Bayles, comme nous l’apprend Gonzalez de Salas, un érudit du dix-septième siècle qui a écrit sur la musique espagnole : les Danzas étaient des pas graves et mesurés, où les jambes seules jouaient un rôle, à l’exclusion des bras ; les Bayles, au contraire, admettaient des gestes plus libres des bras et des jambes, et une plus grande désinvolture du corps. C’est des anciens bayles que dérivent la plupart des danses espagnoles en usage aujourd’hui.

Quelques-uns des Bayles, c’est-à-dire des danses légères, arrivaient parfois, à ce qu’il paraît, jusqu’à l’inconvenance ; on leur donnait aussi le nom de Bayles picarescos[1], ou danses picaresques. Parmi les danses de ce genre, on en cite une qu’on appelait el Escarraman, et qui eut son moment de succès ; mais aucune ne fit tant de bruit que la fameuse sarabande, nommée par le P. Mariana el pestifero bayle de la Zarabanda. Le célèbre historien, pour justifier son épithète, prétend que cette danse a causé à elle seule plus de maux que la peste. Voici comment il s’exprime dans son livre De spectaculis.

« Parmi plusieurs bayles qui ont paru dans ces derniers temps, il en est un accompagné de chant extrêmement licencieux dans les paroles et dans les mouvements : … on l’appelle communément la Zarabanda ; et malgré les diverses opinions qu’on met en avant, personne ne connaît exactement son origine. Mais ce qui est bien certain, c’est que cette danse a été inventée en Espagne. »

Plusieurs écrivains espagnols du seizième siècle ont publié des dissertations sur l’origine de la sarabande : il paraît certain que c’est en 1588 qu’elle fit son apparition. L’on prétend que c’est à Séville qu’elle fut exécutée pour la première fois, par une danseuse andalouse qu’il appelle une baladine, un démon de femme — una histriona, un demonio de muger.

Un autre, contemporain du P. Mariana, dans un curieux manuscrit conservé à la Bibliothèque royale de Madrid, déplore de voir de son temps la vertu très-affaiblie parmi les chrétiens, « à tel point, dit-il, qu’on se divertit d’une chose aussi pernicieuse et aussi pestilentielle, et que nous voyons de jeunes enfants apprendre, aussitôt qu’ils peuvent se tenir sur leurs jambes, quelques-uns des pas de la sarabande. C’est pourquoi, ajoute-t-il, je soutiens qu’une pareille danse devrait être défendue au théâtre, et qu’on devrait aussi défendre de l’apprendre et de la danser au dehors. »

En 1603, parut à Cuenca un curieux imprimé sous le titre de : Relacion muy graciosa que trata de la vida y muerte que hizo la Zarabanda, mujer que fué de Anton Pintado, y las mandas que hizo á todos aquellos de su jaez y camarada, y como salió desterrada de la corte, y de aquella pesadumbre murió. Cette très-gracieuse relation de la vie et de la mort de dame Sarabande, défunte femme d’Antoine Pintado (c’était le nom d’une autre danse), est une satire contre le nouveau pas à la mode qui avait été, comme dit le titre, exilé de la cour, et en était mort de chagrin. À la suite de cette pièce est insérée une ordonnance royale qui défend de danser la sarabande.

Comme on le voit, jamais l’apparition d’une danse nouvelle ne déchaîna autant d’anathèmes, de colères et

  1. Ce mot vient de picaro, qui signifie vaurien.