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de tempêtes. L’auteur du manuscrit de la Bibliothèque royale de Madrid, dont nous avons cité plus haut un extrait, fait mention d’une Jácara, ou chanson populaire, publiée en 1558, et qui se chantait beaucoup de son temps, sous le titre de : la Vida de la Zarabanda, ramera publica del Guyacan ; c’est-à-dire : la Vie de la Sarabande, femme de mauvaises mœurs du Guyacan ; allusion sans doute à une opinion qui faisait venir cette danse de l’Amérique.

L’étymologie du mot sarabande a donné de la tablature aux savants. Ménage prétend qu’il vient d’un instrument qui servait à accompagner les coplas de Sarabanda, ou couplets qu’on chantait avec cette danse ; Daniel Huet, le célèbre évêque d’Avranches, le fait dériver des Sirventes du moyen âge ; Covarrubias prétend, dans son Trésor de la langue castillane, qu’il est emprunté au mot hébreu zara, qui signifie marcher en tournant, parce que, dit-il, la femme qui exécute la sarabande se dirige tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, et va contournant le théâtre en tous sens, jusqu’à ce qu’elle ait obligé, pour ainsi dire, les spectateurs à imiter ses mouvements, à quitter leur place et à se mettre à danser aussi.

D’autres encore prétendent que la sarabande tire son nom du persan serbend, ou de la ville de Samarcande ; le chanoine Fernandez de Cordova, sans se prononcer sur cette grave question, affirme que la sarabande n’est autre que la fameuse danse des anciennes Gaditanes ressuscitée, et arrangée suivant le goût moderne ; il pense que la chacone, autre danse en vogue au seizième siècle, doit avoir la même origine.

La sarabande, sauf de rares exceptions, n’était jamais dansée que par des femmes : il n’en était pas de même de la chacone. Cervantès, dans sa nouvelle intitulée la Ilustre fregona (l’Illustre laveuse de vaisselle), nous donne une idée de cette dernière danse, qui était exécutée par plusieurs couples composés chacun d’un homme et d’une femme.

La sarabande se dansait le plus souvent au son de la guitare, comme les danses andalouses d’aujourd’hui. Cet instrument était, au seizième siècle, aussi répandu en Espagne qu’il l’est encore aujourd’hui. « Maintenant, dit Covarrubias, on en joue si facilement, surtout quand il s’agit d’exécuter le rasgado[1], qu’il n’y a pas un garçon d’écurie qui ne soit un virtuose sur la guitare. »

D’autres instruments, tels que les flûtes et les harpes, se mêlaient assez souvent à la guitare et accompagnaient le chant en même temps que la danse. Il y avait des boylarinas assez habiles pour danser en même temps qu’elles chantaient des coplas de Zarabanda, tout en s’accompagnant sur la guitare : celles-là, à ce qu’assure Gonzalez de Salas, obtenaient un succès tout particulier.

Les chants qui accompagnaient la sarabande portaient des noms différents, tels que Jácaras, Letrillas, Romances, Villancicos, etc. Ces poésies populaires, dont un assez bon nombre est parvenu jusqu’à nous, n’avaient pas de forme bien déterminée, et, en général, leur destination n’est indiquée que par le refrain, quelquefois répété à chaque strophe.

Malgré toutes les tempêtes qu’elle avait soulevées, la Zarabanda avait, à ce qu’il paraît, la vie assez dure, car nous la retrouvons encore très-florissante une centaine d’années après son apparition : c’est Mme d’Aulnoy qui nous l’apprend dans son voyage d’Espagne :

« Les entractes étoient mêlés de danses au son des harpes et des guitares. Les comédiennes avaient des castagnettes et un petit chapeau sur la tête. C’est la coutume quand elles dansent, et lorsque c’est la Sarabande, il ne semble pas qu’elles marchent, tant elles coulent légèrement. Leur manière est toute différente de la nôtre ; elles donnent trop de mouvement à leurs bras, et passent souvent la main sur leur chapeau et sur leur visage avec une certaine grâce qui plaît assez. Elles jouent admirablement bien des castagnettes. »

Il paraît qu’on aimait beaucoup la danse à la cour d’Espagne : Mme d’Aulnoy en raconte une à laquelle elle assista, et qui ne manquait pas d’originalité :

« On amena à la reine mère une géante qui venoit des Indes : les dames voulurent faire danser ce colosse qui tenoit sur chacune de ses mains en dansant deux naines qui jouoient des castagnettes et du tambour de basque. »

Les succès de la sarabande ne s’étaient pas bornés à l’Espagne : au dix-septième siècle, elle passa les Pyrénées : dans un bal que Louis XIV donna pour le mariage du duc de Bourgogne, le duc de Chartres (qui fut plus tard le régent) dansa un menuet et une sarabande avec Mme la princesse de Conti « de si bonne grâce, dit un auteur du temps, qu’ils s’attirèrent l’admiration de toute la cour. »

La sarabande vit naître à sa suite une quantité d’autres danses du même genre, qui obtinrent plus ou moins de succès : nous avons déjà parlé de l’Escarraman et de la Chacona ; il faut encore citer, parmi les danses picaresques, la Carreteria, las Gambetas, El Pollo, la Japona, El Rastrojo, la Gorrona, la Pipironda, El Hermano Barlolo, El Polvillo, la Perra Mora, El Guiriguirigay, El Anton Colorado, qui n’était autre chose, sans doute, que l’Anton Pintado dont nous avons parlé. Nommons encore El Canario, El Zapateado, la Gira, la Danza prima, El Bizarro, la Paisana, la Gallarda, la Palmadica, la Guaracha, le Zapateado, etc.

Ces dernières danses s’éloignaient davantage de la sarabande que celles que nous avons citées plus haut : le Canario, suivant Pellicer, était à peu près la même danse que la Guaracha et le Zapateado ; dans ces trois danses, les mouvements des pieds, qui étaient extrêmement vifs, jouaient le rôle principal. Le Canario, comme l’indique son nom, était sans doute originaire des îles Canaries ; un auteur français du seizième siècle, que nous avons déjà cité, Thoinot Arbean (Jehan Tabou-

  1. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le rasqueado ou rasquear, mot qui signifie râcler ; le guitarrero frappe alternativement toutes les cordes, tantôt avec le pouce, tantôt avec les quatre autres doigts de la main droite ; c’est encore la manière favorite de jouer des gens du peuple.