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tano. Quoi qu’il en soit, on assure que l’olé descend en ligne directe des anciennes danses gaditanes qui avaient tant de succès chez les Romains, et auxquelles Martial lui-même, on s’en souvient, reprochait leur manque de modestie. D’autres prétendent que l’olé est exactement la même danse que la fameuse zarabanda dont nous avons parlé précédemment, ce pas qui provoqua jadis les excommunications de l’Église, et qui fut plus d’une fois défendu par divers arrêts ; ce pas dont la musique était si agréable que Des Yveteaux, ce poëte plus connu par sa vie épicurienne et ses excentricités que par ses écrits, mourant à Paris à l’âge de quatre-vingt-dix ans, se fit jouer un air de sarabande, « Afin, disait-il, que son âme passât plus doucement. »

L’olé est ordinairement exécuté par une seule danseuse, comme quelques autres danses andalouses telles que la jarana, le polo, la rondeña, etc.

On l’appelle aussi quelquefois el olé de la curra ; curra est une de ces expressions andalouses à peu près intraduisibles en français, et qui sert à désigner la femme du peuple élégante, passionnée pour la danse et les plaisirs nationaux ; en un mot, c’est à peu près la maja.

Un jour de fiesta, nous eûmes l’occasion de voir l’olé merveilleusement dansé dans un faubourg de Cadix, la Viña (la Vigne), par une très-habile bailarina, qu’on appelait la Nena, à cause de sa petite taille, surnom très-commun, du reste, en Andalousie.

L’olé exige, plus que toute autre danse, une grande souplesse de corps et une désinvolture particulière : la Nena réunissait au plus haut point ces qualités essentielles, et elle était sans rivale dans les poses renversées. C’était merveille de la voir, après un pas d’une vivacité entraînante, se pencher peu à peu en arrière ; sa taille, d’une flexibilité de roseau, se courbait avec une langueur charmante ; ses épaules et ses bras se renversaient mollement et touchaient presque la terre. Pendant quelques instants, elle resta ainsi, le col tendu, la tête penchée, comme dans une sorte d’extase ; puis tout à coup, comme frappée par une commotion électrique, elle se redressa, bondit, et faisant résonner en mesure ses castagnettes d’ivoire, elle acheva son pas avec autant d’entrain qu’elle l’avait commencé.

Chacune des principales villes de l’Andalousie donne son nom à une danse particulière. Comme on vient de le voir, Cadix a l’ole gaditano, Jerez à son jaleo, Ronda sa rondeña, et Malaga sa malagueña ; mais c’est à Séville que toutes ces danses se modifient, se recomposent, se perfectionnent. « Dans toute l’Andalousie, dit un auteur espagnol, c’est Séville qui se distingue comme dépôt de tous les souvenirs de ce genre ; c’est l’atelier ou les anciennes danses se transforment en danses modernes ; c’est l’université où s’apprennent la grâce inimitable, l’attrait irrésistible, les ravissantes attitudes, les tours brillants et les mouvements délicats de la danse andalouse. En vain, l’Inde et l’Amérique envoient-elles à Cadix de nouvelles chansons et de nouvelles danses d’un genre distinct, quoique toujours charmant et voluptueux ; ces chansons et ces danses ne sauraient s’acclimater en Andalousie, si elles n’ont auparavant passé par Séville, si elles n’y ont laissé, comme le vin laisse sa lie, ce qu’elles avaient de trop libre ou d’exagéré. Une danse qui sort de l’école de Séville comme d’un creuset, pure et revêtue des formes andalouses, ne tarde pas à être reconnue, et se trouve aussitôt adoptée depuis Tarifa jusqu’à Almeria, depuis Cordoue jusqu’à Malaga et Ronda. »

C’était autrefois l’usage, en Andalousie, de chanter dans les fiestas de baile, ou fêtes de danse, quelques anciens romances pendant que les danseurs se reposaient, sans préjudice des malagueñas, des rondeñas et autres chants plus modernes. Le chant de ces romances, qu’on entend encore quelquefois, s’appelle corrida (course), probablement parce que les strophes forment une histoire suivie, tandis que les chansons que nous venons de nommer se composent, comme les polos, tiranas, etc., de couplets détachés.

Quelques-unes de ces compositions sont d’anciens romances moriscos, comme ceux que Ginez Perez de Hita publia vers la fin du seizième siècle, et qui doivent être sans aucun doute la traduction d’anciennes poésies moresques ; d’autres se retrouvent dans d’anciens recueils, tels que le Cancionero de romances ou le Romancero general, ou sont parvenus jusqu’à nous sans qu’on connaisse leur origine.

Ordinairement le musicien prélude en jouant la corrida sur la guitare, la ban durria ou la mandoline (el bandolin), et le chanteur entonne un romance composé ordinairement de strophes de quatre et six vers, comme celui si connu en Espagne du Conde del Sol, dont nous donnons ici le commencement :

Grandes guerras se publican
Entre España y Portugal ;
Y al conde del Sol le nombran
Por capitan général.

La condesa, como es niña,
Todo se la va en llorar.
« Dime, conde, cuántos años
Tienes de echar por alla. »
— Si á los seis años no vuelvo,
Os podreis, niña, casar. »

Pasan los seis y los ocho,
Y los diez se pasarán,
Y llorando la condesa
Pasa asi su soledad.

« De grandes guerres se déclarent
Entre l’Espagne et le Portugal ;
Et c’est le comte de Sol qu’on nomme
Capitaine général.

« La comtesse, comme elle est jeune
S’en va toujours pleurant :
« Dis-moi, comte, combien d’années
Tu dois rester par là. »

« — Si dans six ans je ne reviens pas,
Vous pourrez, petite, vous marier. »