Page:Le Tour du monde - 14.djvu/418

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l’on devait plus que d’ailleurs attendre un concours actif, n’ont pas amorti le zèle de M. Le Saint. M. Le Saint est Breton ; il est de la race de ceux qu’on ne décourage pas aisément. Les retards qu’il a dû subir n’ont pas d’ailleurs été perdus pour l’utile accomplissement du voyage. Des études nécessaires ont été suivies. M. Antoine d’Abbadie, l’illustre explorateur, s’est chargé de l’éducation astronomique du voyageur ; et dans un Rapport du commencement d’août à la société de Géographie, M. d’Abbadie s’exprimait en ces termes : « Après avoir suivi les observations de M. Le Saint pendant plusieurs mois, nous le croyons aujourd’hui suffisamment instruit pour bien jeter les bases d’une carte, et nous estimons que son projet est digne d’être encouragé par la société de Géographie. » Dans une séance suivante, la société a manifesté d’une manière plus effective encore l’intérêt qu’elle prend à une entreprise qui peut, qui doit devenir une gloire nationale. Une souscription spontanément ouverte dans son sein s’est élevée, séance tenante, à un chiffre déjà rond ; c’est un premier noyau qui s’est grossi depuis, et qui sans aucun doute fournira aisément la somme très-modeste, si on la compare à ce qu’ont coûté des entreprises analogues, que M. Le Saint estime suffisante pour l’accomplissement de son plan de voyage. Il ne s’agit de rien moins que d’explorer d’une manière effective la région inabordée où se cachent encore les sources du Nil, et par une sérieuse étude, à la fois hypsométrique et hydrographique, de reconnaître avec certitude le nœud central, comme le mont Blanc dans les Alpes, d’où sort la branche principale parmi les nombreux affluents qui forment la tête du grand fleuve. Il s’agit en un mot de résoudre directement et scientifiquement le problème séculaire dont les Anglais, dans ces derniers temps, ont à peine touché les premiers termes, loin d’en avoir trouvé le dernier mot.


II

Les chances de réussite de M. Le Saint seront d’autant plus grandes, que sa route sera plus nouvelle. En Afrique — chose singulière, — la difficulté des explorations semble augmenter là où les blancs se sont déjà montrés. Deux sentiments qui s’éveillent à la fois chez les indigènes, l’avidité et la défiance, créent au second voyageur des embarras que le premier n’a pas rencontrés, du moins au même degré ; M. Gherard Rohlf, dans son voyage du Nord, souffre en ce moment de cet ennui qui attend inévitablement tout Européen engagé sur une route battue. M. Rohlf, dont nous avons déjà parlé il y a six mois, était parti d’Europe l’année dernière avec le projet de pénétrer au sud de l’Algérie orientale, dans les montagnes inexplorées des Touareg Ahaggar. La route lui en a été fermée par les agitations intestines des tribus. Forcé de se replier sur le Fezzan, il est alors revenu à sa première pensée, celle de se porter vers le Ouadâi, grande oasis du Sahara oriental entre le lac Tsad et le Bornou, dont le nom est déjà frappé d’une renommée funèbre par la mort de Vogel et de Beurmann. Les dernières lettres de Rohlf, au moment où nous traçons ces lignes (28 novembre), sont écrites du Kaouar et datées du 15 juin. Le Kaouar est une oasis tibboû située directement au sud du Fezzan, à cent cinquante lieues de Mourzouk, à mi-chemin environ du Bornou et du lac Tsad, la Caspienne du Soudan. M. Rohlf était retenu la depuis près d’un mois par les mauvaises nouvelles du Bornou, et aussi par la difficulté d’avoir des guides, même à un prix exorbitant. Ce séjour forcé était bien loin d’être agréable. « Il serait difficile, écrit le voyageur, de trouver dans le monde un lieu plus déplaisant : une chaleur de bain de vapeur, et des vents qui vous apportent, de quelque point qu’ils soufflent, des nuages d’un sable asphyxiant. Ajoutez à cela que les habitants ne sont nullement accueillants pour les étrangers en général, et pour les chrétiens en particulier. Avides, quémandeurs, fanatiques, et d’une indescriptible stupidité, ils n’ont pour eux, à ma connaissance, qu’une seule chose qui les recommande : c’est d’être un peu moins sales que les Arabes, les Berbers et les Touâreg qui habitent comme eux le grand Désert. Puis, au milieu d’un déplorable dénuement, et justement à cause de ce dénuement, une vie plus chère qu’elle ne le serait à Paris avec trois domestiques. » M. Rohlf, dans cet agréable milieu, avait eu plus d’un accès de découragement, au point d’avoir pensé par moments à revenir à Tripoli. Il espérait cependant pouvoir bientôt se remettre en route, et promettait d’écrire du Bornou. Il y a par les caravanes des occasions presque régulières.


III

Les inquiétudes que l’on avait eues sur le sort du lieutenant Mage et du Dr Quintin, envoyés en 1863 par le général Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal, vers le chef d’un nouvel État musulman fondé par les Peuls au sud-ouest de Timbouktou, se sont dissipées. Les deux envoyés sont revenus à Saint-Louis, et de Saint-Louis en France. Leur mission avait eu le triple objet d’étudier sur place la condition politique d’une contrée fermée jusqu’à présent à l’Europe, de resserrer nos liens de bonne entente avec les chefs du nouvel État qui s’est élevé sur la frontière orientale du Sénégal, et de préparer, s’il était possible, des relations directes avec Timbouktou, ce grand centre commercial du Soudan occidental destiné à relier un jour nos deux établissements africains du Sénégal et de l’Algérie. Il n’a pas été donné à MM. Mage et Quintin de remplir cette dernière partie de leur mission ; mais leur voyage, dont M. Mage a rendu verbalement compte dans une des dernières séances de la société de Géographie, n’en n’aura pas moins eu, sans parler du côté politique, de très-intéressants résultats pour nos connaissances géographiques.

La rapide extension des Foulah et leur domination politique dans une grande partie du Soudan, depuis la haute région le Kouara et le Sénégal ont leurs sources jusque fort au delà du Tsad vers le sud et le sud-est, cette extension, qui date du siècle dernier seulement, est