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misérable aux villages japonais. Une civilisation libérale aurait couvert les rives de la mer intérieure de jolies bourgades et d’élégantes villas. Les temples seuls rompent l’uniformité des habitations campagnardes ; mais ils ne s’en distinguent de loin que par les vastes dimensions de leur toiture et l’effet imposant des arbres séculaires que l’on rencontre toujours dans leur voisinage.

Les castels seigneuriaux sont généralement éloignés des villes et des villages. Ils se composent d’une vaste enceinte quadrangulaire de hautes et épaisses murailles, entourées d’un fossé et flanquées aux angles ou surmontées de distance en distance, sur toute leur étendue, de tourelles carrées au toit légèrement recourbé. Dans l’intérieur se trouvent le parc, les jardins, la résidence proprement dite du seigneur, comprenant un corps de logis principal et de nombreuses dépendances. Quelquefois une tour isolée, de la même forme que les autres constructions, s’élève au milieu du domaine féodal et dépasse de deux ou trois étages le niveau de la muraille d’enceinte. Comme dans les pagodes chinoises, chaque étage est entouré d’une toiture, mais il est rare qu’elle supporte une galerie. Tous les ouvrages en maçonnerie sont conservés bruts et liés par du ciment ; ceux en pisé sont blanchis à la chaux ; les parties en bois sont peintes en rouge et en noir et rehaussées d’ornements en cuivre. Les tuiles des toitures ont la couleur de l’ardoise. Au surplus, on vise moins à la richesse des détails qu’à l’effet d’ensemble, résultant de la grandeur et de l’harmonie des proportions des bâtiments. À ce point de vue, quelques-unes des résidences seigneuriales du Japon méritent de figurer parmi les monuments remarquables de l’architecture des peuples de l’Asie orientale (voy. p. 53).

Une rue à Simonoséki. — Dessin de D. Grenet d’après une photographie.

Il serait assez difficile de donner une idée générale de la scènerie des rives de la mer intérieure. C’est une série de tableaux qui varient à l’infini, selon le plus ou moins de proximité des côtes et l’aspect des îles qui bordent l’horizon. Il y a de grandes scènes de marine, où les lignes de la mer se confondent avec celles des plages sablonneuses noyées dans les rayons d’or du soleil, tandis que de lointaines montagnes dessinent sur le fond du tableau les formes vaporeuses de leurs cimes. Il y a de petits paysages, bien clairs, bien nets, bien modestes : un village au fond d’une baie paisible, entouré de champs verts dominés par une forêt de sapins ; l’on dirait quelque vue d’un lac du Jura, par une pure matinée de juin.

Parfois aussi, lorsque, les bassins se rétrécissant, les îles en face de nous semblaient nous fermer toute issue, je me suis souvenu du Rhin au-dessus de Boppart. Cependant le paysage japonais est plus calme, plus lumineux que les rives romantiques auxquelles je fais allusion. Il y manque les pentes abruptes, les grandes masses d’ombre, les lignes fuyantes. Sur les bords, ce sont des plans horizontaux, une plage, une rade, des terrasses ; dans le lointain, des îles arrondies, des collines sinueuses, des montagnes coniques. Ces tableaux ne sont point sans charme : l’imagination, non moins que le regard, se repose à les contempler ; mais elle y chercherait vainement cet attrait mélancolique qui semble inséparable de la jouissance du pittoresque, selon les notions du goût européen.

Le bassin d’Arima rappelle les bords de la baie de Nagasaki. Il est presque complétement fermé, à l’est, par une seule île, qui s’interpose entre l’Arimanada et l’Idsouminada sur trente milles de longueur. Elle a la forme d’un triangle, dont le sommet, tourné vers le nord, fait face à la province d’Arima, sur Nippon. Les terres basses dont il se compose sont recouvertes d’une luxuriante végétation, et, dans la direction du midi, le sol s’élève insensiblement en collines cultivées ou boisées, jusqu’aux larges contre-forts d’un massif ou plutôt d’une véritable chaîne de montagnes, hautes de mille à deux mille pieds.

C’est là l’ile d’Adwadsi, qui fut la demeure des dieux, et les villes que l’on voit briller sur la côte de Nippon rappellent les souvenirs des conquêtes de Zinmou. Nous avons sous les yeux le berceau de la mythologie nationale des Japonais, le sol sacré de leurs Kamis, la terre classique de l’ancien empire des Mikados.