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héros tragiques, nous retrouvons des caractères que l’étude de l’antiquité hellénique nous a rendus familiers, et dont les poëtes ont fait des types, des personnifications de telle ou telle passion humaine. Mais qui nous dira l’origine et la signification des personnages de la scène impériale de Kioto ? Quel est, par exemple, ce vieillard à barbe blanche, avec une béquille où s’est posée une perruche verte, oiseau parfaitement inconnu dans tout l’archipel japonais ? Et ce héros qui poursuit un serpent venimeux, animal également étranger au Japon ? D’où viennent ces boucliers, ces casques, ces épées, dont la forme ne rappelle ni les armes des demi-dieux de la mythologie nationale, ni celles des guerriers de l’empire des mikados ? C’est en vain que l’on chercherait des analogies parmi l’immense variété de types du théâtre chinois. Quand le costume des acteurs de Kioto réveille en moi quelques lointaines réminiscences. elles me transportent au wayang des princes javanais, cet autre théâtre mystérieux, où des pièces héroïques, dont l’action se prolonge pendant toute la nuit, sont déclamées dans une langue que personne ne comprend plus, et gravement exécutées au moyen de marionnettes de bois.

La tiare fantastique dont la tête de chacune de ces marionnettes est couronnée répond exactement, si ce n’est quant à la forme, du moins quant à l’effet, à la coiffure indescriptible des comédiens du mikado.

Les musiciens qui composent l’orchestre du théâtre portent, comme ceux de la chapelle pontificale, un bonnet taillé sur le patron de l’ancien casque national, qui était fait en demi-globe, sans cimier, mais orné d’appendices protégeant la nuque.

Leurs principaux instruments sont la flûte traversière, la flûte de Pan, la conque marine, les timbales, et le gong appelé kak-daï-ko : c’est un disque de la grandeur d’une planche de paravent, tendu d’une peau corroyée, supporté par un piédestal, et orné de figures et de flammes symboliques, qui se rapportent probablement au culte du soleil.

Bonze quêteur. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

On attribue à ces cinq instruments un caractère sacré. Il fut un temps où la grande divinité qui éclaire le monde, ne pouvant plus supporter le spectacle de la barbarie des hommes, se retira dans les cavernes de la mer. On parvint à la rappeler aux sons d’un concert de flûtes, de conques, de timbales et de gongs : avec l’invention de la musique les ténèbres disparurent de la face de la terre.

C’est dans les fêtes de la religion nationale que le goût musical et dramatique du peuple japonais a trouvé son aliment le plus sain, le plus substantiel.

Le culte kami est extraordinairement sobre de dogmes. Il se résume dans la croyance que les dieux qui ont créé le Japon continuent de prendre intérêt à leur œuvre, et que les héros auxquels l’empire a du sa puissance habitent le séjour des dieux et y remplissent auprès de ceux-ci un rôle d’intercession en faveur de leur patrie. Il importe donc d’honorer les Kamis ; mais, pour leur être agréable, il faut s’approcher d’eux dans un état de pureté, célébrer dignement les fêtes consacrées à leur mémoire, et visiter les lieux qu’ils ont illustrés par leur naissance ou leurs exploits.

L’accomplissement de ces courtes prescriptions ne rencontrait aucune difficulté sérieuse. Quelques règles de conduite, en deux ou trois articles, fournissaient à tout fidèle le moyen de s’assurer par lui-même s’il se trouvait dans les conditions de pureté requises, ou d’aviser à la purification dont il pouvait. avoir besoin.

Il n’était astreint à d’autres devoirs religieux qu’à entretenir soigneusement chez lui les deux éléments purificateurs, l’eau et le feu ; à témoigner sur sa personne, par des ablutions journalières, des bonnes dispositions de son âme, et à ne présenter au temple ou au Kami domestique que des offrandes d’une fraîcheur incontestable.

On devenait impur par des relations coupables, par la mort de parents consanguins, par l’attouchement d’un cadavre ; en répandant du sang, en se souillant de sang, en mangeant de la chair d’animaux domestiques.